Chronique: Nos auteurs lus par nos auteurs édition 2018

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Voici les chroniques résultant de la rencontre du 11 mars 2018, lors du brunch annuel des auteurs membres de RAPPEL: Parole-Création. Tous les articles résultant de cette activité seront affichés au  deuxième étage du Centre d’art de Sainte-Rose pendant les cinq jours du festival Gens de Parole, qui sera cette année jumelé à notre Expo-vente pendant la Semaine des artisans en début d’août. Certains des auteurs viendrons lire leurs chroniques lors de l’ouverture le mercredi 1er août.


les_souvenirs_ventriloquesCommençons avec la première chronique que nous avons reçue. Ici, l’auteur Jean-Pierre Pelletier nous livre sa recension du recueil de Robert Hamel, Les souvenirs ventriloques.

« Ce n’est point avec des idées qu’on fait des vers… C’est avec des mots. » Voilà ce qu’aurait répondu Stéphane Mallarmé au peintre Degas, ce dernier voulant s’enquérir auprès de ce Sphinx des Lettres françaises de la fin de la deuxième moitié du XIXe siècle pour savoir comment on peut écrire un poème.

Voilà en quelque sorte ce à quoi nous convie Robert Hamel avec Les souvenirs ventriloques. Le lecteur en quête d’idées (si c’est là ce qu’il cherche) les trouvera dans l’entrelacs des mots, ceux à l’aide desquels l’auteur pétrit la pâte de ses poèmes. Celui-ci trouve son dire dans un faire façonné à même la plasticité des mots, de leur rythme, avec des procédés rhétoriques bien connus, tels l’allitération, l’assonance, la récurrence, jeux de mots, paronomase, paronyme, etc., produisant des effets dont il use sans se priver, se donnant à ce jeu, pourrait-on dire, d’une manière souvent jubilatoire. Voici quelques exemples :

sa beauté est insoutenable

comme la nudité nubile

d’une nymphe nébuleuse

comme la grâce d’ébène

d’une princesse nubienne

la fièvre qui embrase

les lèvres qui embrassent

Le texte Ivre de vie qui clôt le livre résume bien ce qui caractérise cette écriture.

Ce dispositif est mis au service d’une conscience dont le parcours oscille entre joie et angoisse et peut se voir comme un lieu où le corps, les sens sont appelés à exulter. C’est aussi un moyen par lequel notre monde, son absurdité et le train-train quotidien qui semble de plus en plus le définir se voient dénoncés dans un verbe au ton parfois acéré, imprécatoire, parfois avec finesse et plus de retenue.

On se plaît à imaginer ce que peuvent produire ces textes lorsque lus par quelqu’un dont la voix épouse la forme-sens, le tempo qu’une bonne voix pourrait conférer à leur oralité.

Pour conclure, vient aussi à l’esprit une citation de Paul Valéry : « Je n’ai pas voulu dire, mais voulu faire, et c’est ma volonté de faire qui a voulu ce que j’ai dit. »

Jean-Pierre Pelletier

Robert Hamel, Les souvenirs ventriloques, poésie, Les Éditions de l’étoile de mer, Montréal, 2013, 106 pages.

Mise en page 1Passons maintenant à Aimée Dandois-Paradis, qui nous parle du recueil Avant de renoncer, de Dominique Gaucher.

Dominique Gaucher détient une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal. Elle a longtemps travaillé au gouvernement du Québec à titre de conseillère, d’analyste et agente de recherche.

Parallèlement à son travail, elle a publié de nombreux ouvrages scientifiques. Cependant, elle est aussi une nouvelliste et poète. À ce dernier propos, Dominique Gaucher a publié trois recueils de poésie aux Écrits des Forges dont : Solos (1999) puis suivra Trajets, passages et autres déménagements d’atomes (2010). Et six ans s’écouleront avant la venue de son troisième recueil de poésie : Avant de renoncer (2016).

Dans cette œuvre on pénètre discrètement sur la pointe des pieds dans un univers aseptisé et médicalisé où domine la blancheur des lieux et la sobriété du propos.

Il est réparti sur trois chapitres :

Entre ces murs relate son entrée dans le nouvel univers où Guy Gaucher incarne un personnage en proie à la maladie qui le transforme et le contraint à vivre autrement et dans un autre lieu. C’est ainsi que :

Commence la vie à un autre rythme

Le tien

Les mots ne doivent pas se bousculer

Les pas se précipiter

Impossible de planer au-dessus des sentiments.

La notion du temps et des gens s’estompe irrémédiablement :

Tu as oublié un peu qui je suis

Tu ne me reconnais pas comme ta fille

Tu me courtises

Puis, lui succède le chapitre suivant où l’artiste s’octroie la mission de

Refaire le monde

 l’homme y parvient, et la poète complice joue le rôle :

Tu vois une œuvre d’art

Dans les rideaux froissés

Chanceux

Petit à petit, le temps déconstruit l’artiste

Ce qu’il reste de toi

Ce sont de très courtes strophes très évocatrices qui nous plongent dans les derniers moments de vie du père de la poète où l’économie des mots stigmatise le scénario d’un dépouillement progressif de l’être et de l’espace de vie dont nous demeurons témoins impuissants :

C’est encore toi

Des miettes de toi

agglutinées

autour de ce nerf idoine

La sobriété du langage se jouxte à celle des lieux où lentement s’efface la vie un peu à la manière de la ténuité de la dentelle de Bruges quand on fragilise lentement les fils graciles de l’ouvrage.

C’est un recueil à lire et à relire afin d’en goûter toutes les nuances de blanc que la sensibilité de la poète nous invite à partager jusqu’à l’ultime, où même les silences sont éloquents.

Aimée Dandois-Paradis

Dominique Gaucher, Avant de renoncer, Ecrits des Forges, 2016

Occupons MontréalAnna-Louise Fontaine nous parle maintenant d’Occupons Montréal, de John Mallette.

Il est dit sur la quatrième de couverture que John Mallette est un poète prolétaire. Il a clairement choisi son camp : le 99 %. Mais tout n’est pas si clairement départagé quand on a gardé comme lui son âme d’adolescent utopiste. John est un pur, il ne fait pas de compromis. Il guette en lui-même le moindre signe de lâcheté. Il se chargera même des péchés de ses frères. Il deviendra le consommateur ou le résigné pour être encore de leur côté. Avec une loyauté sans faille, il s’accusera de l’apathie de ses concitoyens.

« Et moi, comme un imbécile

Je fais l’autruche »

Ses arguments sont d’ironie. Pour dénoncer en soulignant l’absurde des situations.

« Droite, gauche, droite.

En avant les chrétiens.

J’ai soif de sang.

Dieu nous a confié…

La supériorité. »

Réflexion aussi sur la responsabilité. Et sur le choix à faire entre subir et réagir. L’éternelle question entre ce qu’on peut changer et ce que l’on doit accepter. Habiter le maintenant, d’accord. Mais s’il est inacceptable?

Mais ce que je retiens de ce livre, c’est son immense amour pour ses compagnons de fortune. Il ne se sauverait pas tout seul. Il est irrémédiablement lié à ses frères de rue. C’est cet amour des autres qui le fait souffrir et souhaiter leur libération. Il leur prête, que dis-je, il leur donne sa voix. Et sa souffrance est réelle, celle de voir des enfants mourir, des innocents persécutés, des pauvres, les victimes du système. Mais il doit parfois se rendre à l’évidence :

« Dans ce pays démocratique,

La liberté… n’est qu’illusion. »

Et cela ajoute à sa souffrance. De constater l’inconscience qui pousse les gens à voter pour qui les exploite, pour qui leur retire leurs droits et les dépouille de leur dignité.

John Mallette a-t-il écrit ce livre pour que nous levions tous debout ou simplement pour se poser la question à savoir si c’était possible? Le combat peut-il être gagné ou est-il perdu d’avance?

« Les morts

Sont tous…

Du même bord! »

Son dernier poème se termine par un cri :

« Au secours quelqu’un! »

Mais sur la page qui suit, il nous laisse cette phrase de Hegel :

« La longue histoire de l’humanité a un sens. »

Mais le connaîtrons-nous un jour? Comment garder espoir?

Anna-Louise Fontaine

John Mallette, Occupons Montréal, éditions Louise Courteau, 2012

L'autre face des étoilesVoici maintenant Rollande Boivin, qui a lu L’autre face des étoiles, de Marie-Sœurette Mathieu.

Recueil de poésie en deux parties : Haïkus divers et L’autre face des étoiles. Textes à la mémoire de « tous ceux qui sont subi (…) le séisme du 12 janvier 2010 à Haïti. »

L’auteure y ouvre son « cœur grand comme (…) une nuit de pleine lune. »

Haïkus divers :

Comme fleur offerte sur les tombes, en guise d’épitaphes pour Jude, Ninon, Georges, Mireille, Andréanne…

dans les décombres

cris et gémissement

percent les tympans

Les plus touchants rappellent la vie.

voix au microphone

et doigts au clavier

tout son corps est musique

Et les enfants.

enfants souriants

châteaux de sable roux

sous le parasol

(…) faut se séparer.

L’autre face des étoiles :

Les textes les plus évocateurs ravivent Haïti. « (..) Un pays érigé sur les reins du vent » et des pans de l’enfance pas toujours bénite mais parfois, balafrée. Encore là, elle ranime des disparus, sa maison, Popo, Michael…

Pour les Inuits, les aurores boréales représentent l’âme des ancêtres. Il m’a semblé que Marie-Sœurette Mathieu, retrouvait les siens dans les étoiles filantes. « Je déclare mon amour aux étoiles », écrit-elle.

Rollande Boivin

Marie-Soeurette Mathieu, L’autre face des étoiles, Lorraine : Éditions le Grand fleuve, 2012

Quattro t2Passons maintenant à Janine Pioger, qui a lu Quattro, tome 2 : Passion éternelle, d’Évelyne Stefanato.

Dès le début du livre, la passion est au rendez-vous. On lit la première phrase : « Le choc de ma rupture avec Franco a failli m’emporter », affirme Marie-Christine, et c’est le livre qui nous emporte.

Roman intrigant en même temps qu’écriture agréable. L’auteur met sur scène les personnages principaux à tour de rôle. En le lisant, on se sent souvent entre deux mondes, celui de l’au-delà avec des anges qui nous accompagnent continuellement et celui bien évident de la réalité terrestre.

« Toute cette histoire renferme un parfait mélange d’imbroglio immatériel : Al qui semble être coincée entre les deux mondes, madame Blackburn qui avance à travers des tranchées accidentées avec des œillères mal ajustées, et moi, qui essaie depuis plusieurs mois de rééquilibrer ce grand chaudron plein de sorts qui jouent contre l’humanité! » (pense Ashley, véritable ange incarné [chapitre 19, p. 151])

Étrangement quand ce livre m’a été confié, j’étais en train de lire Messages de l’au-delà. La vie sur Terre et celle de l’après-mort, de Serge Girard. Je ne quittais pas cet entre-deux qu’on découvre en soi quand les mots sont là pour nous le révéler. Oui, la grande passion dépasse le terrestre. Bien que Marie-Christine lutte contre ce sentiment, il arrive un moment où elle doit bien le reconnaître :

« L’amour insatiable que je ressens pour lui ne s’éteindra jamais, car ce sentiment est beaucoup plus fort que moi… cela m’a pris beaucoup de temps pour le comprendre. » (Chapitre 28, p.230)

Et petit à petit, c’est nous qui comprenons. On ne peut échapper au destin, à notre mission sur terre, même si parfois nous devons traverser les ténèbres.

Son étudiante, Ashley (cf. ci-dessus), l’aide tout au long du livre, à distinguer sa voie.

— Madame Blackburn… vous êtes enceinte… enceinte d’un être exceptionnel qui naîtra le 10 octobre 2012 à 22 h 08 exactement, l’heure de sa conception. (Chapitre 31, p. 271)

Cela nous rappelle quelque chose à nous, chrétiens. Et pourquoi pas? Le Christ moderne.

Mais cet enfant ne naît pas de la Vierge Marie, même si les conditions pour une conception ne semblent pas, au premier abord, rassemblées. Les scènes érotiques qui commencent lorsque enfin les deux amoureux se laissent dériver au gré de leur désir sont bien décrites, sans vulgarité, mêlant amour physique et spirituel.

— Je t’aimerai toujours aussi, Tina… toujours. Rejoins-moi maintenant…

Il écarta mes jambes, en restant toujours à genoux en face de moi, et ses yeux me dirent qu’il était prêt à arriver; je l’étais aussi et à la prochaine et profonde poussée, j’ai laissé sortir un cri guttural, un gémissement de plaisir suave et nos deux corps exultèrent presque en même temps. (Chapitre 28, p. 258)

Mêlant intelligemment le terrestre et le céleste, le spirituel et le temporel, la lecture de ce livre du futur nous remplit d’espoir.

Janine Pioger

Stefanato, Évelyne, Quattro, tome 2: Passion éternelle, Laval: éditions Véritas Québec, 2017, 357p.

Dominique Gaucher a lu Brumes d’enfance et Babillages, d’Aimée Dandois et Françoise Belu.

Aimée Dandois est l’auteure de nombreux livres de poésie et a publié de la poésie en revues.

Comme l’indique Aimée Dandois elle-même en liminaire, le livre est né des toiles de Françoise Belu qui lui ont causé un grand émoi. Elle y a lu toute la détresse d’une enfance aux rêves avortés qu’elle a transcrit dans une série de poèmes où l’artiste, nous a-t-elle confié, s’est ensuite reconnue. Le lecteur et la lectrice sont happés pour leur part par un univers trouble qu’on tente de déchiffrer pour eux dans un langage clair.  Ici, on ne cherche pas à faire image pour faire image, mais à toucher au vrai.

Le lien établi entre l’œuvre et le poème ne l’est pas de manière directe, bien que l’on retrouve parfois un écho explicite de la toile dans le poème comme dans le cas très réussi de la toile La marelle (p. 58) :

Entraves

résistances

combats intérieurs

ces feux qui grondent

te nourrissent

Déchirée entre ciel et terre

l’attrait de la marelle

te rapatrie fillette

au royaume douillet de tes peluches

Le livre explore l’enfance d’un être en butte aux difficultés qu’elle enfouit au plus profond d’elle-même (p. 48) :

Tu ressens l’âpreté

des évènements

jalonnement d’obstacles

insérés dans les portes du cœur

et que

tu enfouis

dans les plis originels

C’est de cet enfouissement que nait le titre de Brumes d’enfance («où la brume parfois appelle la lumière», p. 40), qui définit bien le caractère imprécis des souvenirs et de l’état de l’artiste et qu’elle exprime pour sa part par des collages où tout apparaît en ordre – au moins en apparence – dispersé.

L’univers de la protagoniste est dicté par celui de sa « déesse-mère » (p. 36 et 40) :

Au flan des heures

tu orthographies mes sentiments

… et (p.20) :

Aveugle à mon désir

tu exultes

et

d’un trait de rasoir

ton véto assassine le rêve

lacère

l’oriflamme de mes récriminations

Le rêve de la danse que n’a pu réaliser l’artiste est évoqué (p. 28) :

Agile furet en tutu

tu cabrioles

petite étoile

dans l’anonymat

d’un silence abyssal

Finalement, Brumes d’enfance est un beau livre au style dépouillé où on trouve des images fortes, comme dans (p. 18) :

À la fenêtre de l’absence

tu t’accroches

Les jours ont épuisé

le calendrier des attentes

Un fond de mélancolie

détache

un clou rouillé déçu.

Cette dernière image dépeint adroitement la tristesse de l’enfant écorchée. Un livre à lire et à regarder.

Dominique Gaucher

Brumes d’enfance, Poésies 2014, Aimée Dandois et Françoise Belu, Babillages, Techniques mixtes sur toile, 2009, Éditions Cidihca, 2014

Folle à délierMaintenant, John Mallette a lu Folle à délier, d’Anna Louise Fontaine.

Ce magnifique livre contient deux facettes; la première partie en prose est un témoignage romancé qui décrit très bien un personnage, Marie, prise dans l’engrenage d’un système psychiatrique qui semble avoir oublié le côté humain de sa pratique.  La théorie de la technique prime et les dossiers sont des numéros.

Marie se demande, « Pourquoi cette intolérance à la souffrance mentale? » Elle se sent impuissante.  Elle pose des questions et ne reçoit pas de réponses! Elle doute des compétences des intervenants et elle a peur de perdre le contrôle.  Où est la vérité?  Elle a l’impression de lutter pour sa vie! Elle veut vivre en liberté comme tout le monde mais on la soigne derrière des barreaux sans l’essentiel, la compassion.

Chimie accompagnée de thérapies non prouvées dans un environnement pas du tout normal.  Vaincue par son impuissance, car si elle se plaint ou qu’elle pose trop de questions, on augmente sa dose de pilules.

Prise dans un combat, à se demander, où est «  le respect?  La dignité? »  Il faut faire attention de ne pas trop déranger.  « Personne te demande pourquoi tu as voulu mettre fin à tes jours? »

« Ayant juré que je ne me laisserais pas détruire…  Mais je resterais hors d’atteinte, réfugiée dans mon monde ». La rage a sa place dans ce système faussé par des théories simplistes, Marie déguise son propre caractère.

Chacun son scénario. Faut « avoir le courage de toiser ses peurs parce que j’ai reçu beaucoup d’amour et que la solitude me fut souvent épargnée ».

Marie ne vit pas, elle survit… en attendant!  Après beaucoup de temps : « Je suis maintenant décidée à accueillir le destin. Car, si je ne l’ai pas toujours appelé, je l’ai à tout le moins permis. Je mérite le bonheur!»

« La vie est un présent qu’il nous faut prendre. »

DEUXIÈME PARTIE DE FOLLE  À  DÉLIER

Quelle poésie de style élevé ou l’émotion se mêle à l’histoire de drames familiaux pour célébrer des suites enchantées.

Recroquevillée sous les coups

que tu appréhendes

tu erres nue et affamée

dans le glacial labyrinthe

de tes cauchemars

De sublimes rencontres avec soi-même:

ni rester dans l’ombre

qui avait si faim de liberté

mais qui s’emmêlait

dans ses chaînes

Tout est exquis et démontre la profondeur ensoleillée de la pensée d’Anna Louise :

il engendre la paix

qui vient de révéler

la beauté qui nous habite.

Quel plaisir de parcourir ces mots admirables et de traverser ce panorama qui est plus que ça : une vie entière avec ses hauts et ses bas.  Mais à un moment donné, Anna Louise nous amène à un  pont :

détrôné les spectres

qui régnaient

sur mes rêves

Je vous laisse deviner le reste, ou mieux encore! Lisez ce livre plein d’agréables surprises!

John Mallette

Fontaine, Anna Louise, Folle à délier, éditions Les très mal entendus, 2017

Voici maintenant Aspasia Worlitzky qui nous parle d’Ariane Bouchardy-Gauthier avec De ma paume à la tienne.

ArianeBG-158x300Dans ce livre, Ariane Bouchardy-Gauthier nous parle d’amour et de prospection, de sa paume à la nôtre, comme si elle s’adressait à nous dans notre intimité de douleur disséminée. Immesurable douleur que celle de la perte d’un être cher, la perte d’autonomie, la perte de sa terre pour l’immigrant qui n’a pas le droit de revenir en arrière, qui n’a pas le droit de retrouver le corps inerte de son fils.

La blessure résiliée saigne pour grandir, dans un univers qui nous échappe, qui nous rend susceptibles à l’accolade réconciliatrice.

Elle donne envie de lui dire : je suis là, pour toi.

Dans sa poésie, l’auteure peut vivre sans limites ce qui, dans son espace, la limite.

Elle écrit :

Je réalise qu’au tréfonds de ce navire

j’habite un monde d’infinis possibles

encore en attente

même démunie

je suis riche.

Les lignes et le souffle de son écriture sont séparés par un intervalle physique, une pause dans l’élan d’écriture que nous pouvons adapter à notre guise dans notre environnement sensoriel.

Le reflet de sa réalité et de sa fantaisie nait révolutionnaire, parce qu’elle n’accepte pas que sa liberté lui soit arrachée totalement.
Elle écrit :

Tu dis que c’est un puits d’eau fraiche

à l’abri des clameurs envahissantes des chemins

où tu te dois d’aller.

J’ai plutôt l’impression d’être un volcan brûlant

duquel tu dois te garder.

La plume de la poète est romantique et l’attachement qu’elle exprime est infini, déchiré par le temps et l’infortune, unique.

Elle écrit :

Buvant à son essence comme lui à la mienne

je rêve un instant de sa main sur mon cou

et mes yeux en débordent

de son arôme

je brûle.

Avec sa façon de se donner entière, de se laisser aller et de ne concevoir le monde qu’avec le regard de l’autre, elle nous fait penser à Pablo Neruda, poète, Prix Nobel de littérature en 1971. Il écrit :

Comme toutes les choses sont remplies de mon âme,

tu émerges des choses pleine de mon âme.

Papillon de rêve, tu ressembles à mon âme

et tu ressembles au mot : mélancolie.

Dans les pages de son recueil, la poète nous livre généreusement les vécus d’autrefois qui se bousculent en désordre pour aboutir dans un présent mal caché derrière les feuillages brisés, les lampadaires éteints et les larmes chaudes de la rosée matinale.

Aspasia Worlitzky

Bouchardy-Gauthier, Ariane, De ma paume à la tienne, Ancrages, Collection La Partance, Claude Drouin, éditeur, 2016

Voici Robert Hamel qui nous parle d’Une virée américaine, de François Jobin.

9782924568231Avant de commenter le roman de François Jobin, voyons d’abord ce qu’écrit l’éditeur au sujet de l’auteur. Il nous dit qu’après avoir mené une foisonnante carrière de réalisateur télé (Le Club des 100 watts, Km/h, Télé-Pirate), François Jobin est aujourd’hui romancier à temps plein. Il a notamment publié Mensonges et autres tromperies (La courte échelle, 2013) et L’odeur des vieux papiers (À l’étage, 2015). Une virée américaine est son sixième roman.

Les présentations étant faites, passons maintenant à l’œuvre.

Zacharie Desforges est contraint à l’exil après une brève mais violente confrontation avec Butch Charron, jeune brute notoire de Saint-Ludes et digne représentant de la lignée de mafieux locaux. Craignant pour sa vie, le jeune Desforges conçoit, avec la bénédiction de son psychologue de père, un plan qui lui permettra de passer la frontière canado-américaine et de mettre le cap vers le Mexique, dans le but de se faire oublier de la terreur du village.

Zacharie se rendra d’abord à Stanstead, où son oncle l’aidera à passer la frontière. En chemin, il rencontre Janvier Desmarteaux, Gaspésien d’origine et, de son propre aveu, ex-sympathisant felquiste. Truculente, la scène donnera lieu à un véritable cours d’histoire du Québec post-Révolution tranquille.

Mais il ne s’agit là que d’une rencontre parmi tant d’autres, la plus importante de toutes étant sans contredit celle d’Abby, aux côtés de qui Zacharie découvrira l’amour, la vie et l’Amérique des grandes métropoles — la jeune femme a un riche oncle avocat qui habite New York — et de sa contrepartie rurale. En route vers le Mexique, les jeunes tourtereaux auront pour conducteurs une série de personnages tous plus colorés les uns que les autres. Parmi ceux-ci, soulignons un militaire déséquilibré qui signera plus tard une tuerie sanglante, une religieuse défroquée prête pour une nouvelle vie, un chasseur d’alligators qui transforme les reptiles en bottes haut de gamme, sept artistes suédois de petite taille en vacances et un couple de snowbirds québécois qui ne s’entend sur rien du tout.

La réalité et le rêve s’entremêlent dans ce parcours initiatique où il sera question d’histoire, de politique, d’économie, de tourisme, de gastronomie, de culture, d’amour et d’aventure, bref, de la vie, la vraie, celle qui ne se laisse pas emprisonner par la routine. Tout au long de ce road trip romanesque, l’auteur érudit raconte dans une langue dense, vivante et moderne les aventures rocambolesques de deux jeunes Québécois à l’heure des premiers émois.

En résumé, Une virée américaine de François Jobin permettra au lecteur de faire un beau et grand voyage fertile en émotions à peu de frais.

Robert Hamel

Jobin, François, Une virée américaine, À l’étage (une division du Groupe d’édition La courte échelle inc.), 2017, 273 p.

Voici maintenant Un homme en sarrau blanc d’Hélène Perras, raconté par Monique Pariseau.

Livre d’histoire sur la vie de Claude Martineau, né à Montréal en 1928, il nous renseigne d’abord sur son enfance et sur l’évolution du métier de pharmacien au Québec, particulièrement dans la région lavalloise. Claude Martineau y fut pharmacien de 1953 à 1995. Lire Un Homme en blanc, c’est suivre le cheminement d’un homme qui a teinté de son engagement et de son amour pour son métier le rôle du pharmacien québécois.

Cet écrit nous permet de mieux comprendre l’évolution de cette profession via le parcours de M. Martineau et de saluer tant son professionnalisme que sa volonté d’améliorer les services donnés à ses clients et patients, pour lesquels il a un énorme respect.

Ce mot respect éclaire quasi toutes les pages de l’œuvre écrite par son épouse Hélène Perras.

S’il y est d’abord traité de l’évolution de sa profession et de ses qualités d’homme d’affaires, l’auteure s’attache aussi à décrire l’homme dans son intimité, dans sa vision du bonheur, de sa vie de famille, de son amour pour les siens et pour ceux dont il a mission de s’occuper.

Le livre d’Hélène Perras, qui se veut femme de lettres, démontre aussi qu’elle a su accompagner son mari pendant plus d’une quinzaine d’années dans toutes les voies qu’il prenait au cours de son parcours pharmaceutique. Elle n’était pas qu’épouse ou que mère, mais aussi une collaboratrice indispensable pour le travail de son époux.

La générosité de ce couple pour leurs enfants et la passion partagée pour l’évolution de la profession pharmaceutique donnent aux lecteurs une vision historique du rôle du pharmacien au Québec dans les années 50. M. Martineau sera aidé par ses enfants dans les années qui suivront, jusqu’à son accident vasculaire cérébral survenu en 1990.

Livre donc historique, mais aussi livre d’un amour touchant : celui d’Hélène Perras pour son mari. C’est peut-être ce qui m’a le plus émue. Chaque page recèle tant d’amour et de respect pour cet homme qu’elle a épousé et aime encore d’un amour continuel et sans accrocs qui, depuis 10 ans, vit dans une résidence, mais reçoit et sait partager tout l’amour de ceux qui ne cessent de l’aimer et de l’admirer.

Ce livre d’amour est l’un des plus touchants que j’ai lu. Cet amour n’est pas romancé, il se vit dans le quotidien, et les mots d’Hélène Perras sont, à chaque page, un témoignage de fidélité et de tendresse qui ne peut nous laisser indifférents.

Même si, comme l’écrit l’auteure, la vie de son mari « est maintenant sur pause », il n’en demeure pas moins que les derniers mots de Perras dans Un homme en blanc sont : « Claude, merci pour tout ».

On ne peut qu’être remué par ce livre où l’histoire des entreprises pharmaceutiques de Claude Martineau est, à chaque page, teintée d’amour, de fidélité et de respect pour celui qu’Hélène Perras a épousé le 11 août 1951.

Monique Pariseau

Perras, Hélène, Un homme en sarrau blanc

Écoutons ce que Evelyne Stefanato avait à dire de Permanence de l’instant. Que fais-tu de ta vie? de Jeannine Pioger.

1385141_558626177526267_1166912405_nAvec le livre de Jeanine Pioger, je suis sortie de ma zone de confort, n’ayant lu de poésie depuis des lunes. Petit recueil de 100 pages, et je me suis dit que je passerais les pages en agréable compagnie. Jeanine nous fait passer à travers ses expériences personnelles des trente et plus dernières années, en nous faisant sentir et respirer sa vie et sa façon de ressentir les choses de ce monde.

Ce livre émane de son souffle. Je ne la connais pas du tout, mais à la fin de son recueil, elle est devenue une attachante consœur littéraire. Difficile de mettre sa vie sur papier et d’éventrer ainsi ses souvenirs. Difficile de revoir les faits marquants d’une vie et de les coucher en mots avec amour et raison.

Certaines pages m’ont bouleversée, car elles interpellent le spirituel autant que le psychique. Le descriptif de sa réalité frappe… Attention, ce petit livre n’est pas pour les cœurs faibles! Il contient des strophes qui placent le lecteur en situation de faits vécus considérablement puissants.

Au fur et à mesure de la lecture, nous savourons les saisons québécoises, vivons d’heureuses rencontres, imaginons des anecdotes circonstancielles. L’auteure nous fait ressentir très profondément la perte d’êtres chers qui ont marqué son existence. Oui, les images de ce petit recueil sont redoutablement éloquentes. C’est ce que la poésie accomplit et que j’avais oublié. La poésie nous donne une fenêtre sur la vie.

Evelyne Stefanato

Pioger, Jeannine, Permanence de l’instant. Que fais-tu de ta vie?, éditions Lever du jour, 2013, 100 p.

Voici Jeanne Barret, de Monique Pariseau, raconté par Hélène Perras.

indexDès la première de couverture, la biographie romancée de Jeanne Barret intrigue. Qui est cette héroïne aux aventures étonnantes? Invraisemblable? Le nom de Jeanne Barret, inconnu. Mais, faisons confiance. Monique Pariseau a déjà une réputation enviable comme écrivaine. Plongeons au cœur du récit.

Oui, l’héroïne Jeanne Barret a bel et bien vécu, animée par le désir de l’aventure et de la découverte. De connivence avec son employeur, elle est déguisée en homme sur la flûte L’Étoile lors de l’expédition commandée par De Bougainville. Elle y fait le tour du monde de 1766 à 1767. Jeanne n’a pas froid aux yeux pour faire face à toutes les situations. Les contraintes et le courage sont au rendez-vous.

Voici un récit informatif. Ici, pièces de bateau, de gréement. Partout, conditions instables de la mer, incessants travaux et manœuvres maritimes. Un vocabulaire spécialisé maîtrisé par Monique Pariseau. Les mots : carguer, chenailler, louvoyer, mouiller dans la rade. L’auteure explique les travaux des scientifiques de l’expédition : astronome, cartographe, ingénieur, naturaliste, dessinateur, écrivain et ceux des deux cents marins à bord. Tous impliqués dans l’aventure insensée et fabuleuse de Jeanne.

Voici un récit émouvant. Nous tremblons avec Jeanne, redoutant la découverte de sa véritable identité. Nous réfléchissons avec elle et les hommes de science sur les conflits entre la foi et la raison. Le siècle des Lumières, Voltaire, Rousseau, d’Alembert, Diderot sont leurs contemporains. Nous voici émerveillés par la beauté poétique de plusieurs passages. La mer, la mort, la musique, le dessin, la nature exotique, les habitants, bons et mauvais sauvages, les descriptions nous font vivre les sentiments les plus touchants.

Hélène Perras

Pariseau, Monique, Jeanne Barret, Marcel Broquet, nouvelle édition, 2010, collection La Mandragore, 332 p.

Enfin, voyons ce que Cécile Racine avait à dire sur À coup d’ailes, de Diane Descôteaux.

41eQgXwUd1LÀ coup d’ailes (éditions Unicité) est le quinzième livre publié par Diane Descôteaux, haijin de la région de Drummondville. L’auteure écrit des haïkus depuis une vingtaine d’années et elle a remporté moult prix et mentions d’honneur dans divers concours internationaux. On trouve ses textes dans de nombreuses revues et anthologies.

Diane Descôteaux n’en est donc pas à ses premières armes, comme on peut s’en rendre compte à la lecture de À coup d’ailes, recueil de cent cinquante-neuf haïkus, préfacé par Danielle Duteil. Celle-ci mentionne, à juste titre, que l’écriture de Diane Descôteaux « présente des traits communs avec l’auteure, vive, spontanée, vraie ».

Dans À coup d’ailes, la haijin, emportée par le vent de l’inspiration, nous entraîne dans toutes les directions, faisant flèche de tout bois. Comme un oiseau, elle picore tout ce qu’elle trouve à se mettre sous le bec pour le transformer en haïku. Aucun sujet n’est trop banal pour sa plume, comme dans l’exemple suivant :

couture manquée —

l’ouvrière au Bangladesh

s’est-elle piquée?

Voilà bien le talent de Diane Descôteaux : transformer l’ordinaire en poésie. Rien n’est indigne de sa verve et l’humour n’est pas exclu. En voici quelques échantillons :

 deux chastes baisers —

nous étrennons pour ma fête

chacun nos dentiers

pour le mille-pattes

la Terre, au bord du comptoir,

est forcément plate

 

lire chaque annonce

destinée au poêle à bois —

rabais sur le Bounce®

Comme on peut le constater, à l’intérieur de chaque haïku, le premier et le dernier vers riment. Toujours. Cette constante peut étonner de la part de l’imprévisible Diane Descôteaux. Chose certaine, avec elle, on ne s’ennuie pas. Ses textes sont aussi variés que la vie. Car c’est de cela qu’elle parle : d’instants de vie, présentés en vrac, sans ordre précis, tel qu’ils se produisent au fil du temps quotidien, dans la nature ou non.

Cécile Racine

Descôteaux, Diane, À coup d’Aile, Éditions Unicité, collection Kigoupa, France, 102 p.

Recension par Robert Hamel sur Le crâne ivre d’oiseau, de Jean-Pierre Pelletier

Le crâne ivre d'oiseauJean-Pierre Pelletier est né à Montréal en 1956. Enseignant, il a cofondé, au début des années 1990, Ruptures, la revue des trois Amériques. Auteur d’une plaquette de poèmes intitulée L’Amnésique, il a publié deux traductions de poétesses colombiennes ainsi que des poèmes et des traductions en revues. Il a aussi travaillé à la préparation de la partie francophone de l’anthologie de poésie canado-irlandaise The Echoing Years. Un second livre de poésie, Alluvions, a également paru aux Écrits des Forges en 2011. Le crâne ivre d’oiseau est son troisième recueil.

J’ai oublié les paroles exactes, mais le poète Jean Royer m’a un jour confié que la poésie est, d’abord et avant tout, un travail sur la langue. Depuis, je lis et j’écoute tous les poèmes avec cette phrase en tête.

Vu sous cet angle, Le crâne ivre d’oiseau m’est apparu tel un périple à la frontière de l’invisible, une marche sur la pointe des pieds sur le pointillé qui sépare le ressenti de ce qui n’a pas encore été exprimé ou nommé. Il m’a ainsi semblé que, en digne sculpteur de la parole, Jean-Pierre Pelletier livrait une âpre bataille à l’indicible et créait de nouvelles réalités par sa parole ciselée. Son propos est teinté d’une tendre lucidité qui tend à la métaphysique. Constatez par vous-même :

Surgies d’entre les rêves

m’émeuvent ici les feuilles        leurs nervures

leur écrit d’oiseaux sur les murs du délire

régions mortes d’autres périphéries (p. 9)

Un instant pour réinventer une place

c’est un langage pour des funérailles obscures

et pour entrer dans un labyrinthe

une échancrure du réel (p. 47)

Des lointains se dégagent

capturés dans le vide de la rétine

l’ordonnance de l’horizon

le parcours suranné des idiomes que je porte (p. 50)

Je veux interroger cette grève de nuages

au-dessus du delta de l’aimée où s’égarent mes cris

cette immensité poussée à son seuil erratique

Sahara chaque jour plus accentué

devient du ressort des volatiles

et traverse le crépuscule de nos rites abolis

À lui seul, le poème en italique de la page 70 semble définir l’auteur et sa quête.

Le livre est l’œuvre d’un poète arrivé à une certaine maturité qui use de l’allitération avec mesure et intelligence afin de créer des images éthérées. Le crâne ivre d’oiseau envahira doucement l’épiderme du lecteur et y demeurera longtemps une fois la lecture terminée.

Robert Hamel

Pelletier, Jean-Pierre, Le crâne ivre d’oiseau, Les Écrits des forges, 2016, 70 pages.

Voici La fin de l’été, de Rollande Boivin, illustré par Fabrice Boulanger, lu par Marie-Sœurette Mathieu.

2018 La fin de l'été[27776]De nos jours, la plupart des jeunes négligent la lecture pour s’adonner à des activités sur internet telles que Messenger, Facebook, Instagram et j’en passe. La lecture pour les jeunes est une belle semence pour la récolte d’une belle culture dans le futur. On peut dire qu’une abondance de lecture dans la jeunesse donne très souvent l’envie d’écrire dès l’âge adulte. D’autres commencent l’écriture même à l’adolescence. Je viens de lire un livre destiné aux jeunes, écrit par une auteure connue dans le domaine de l’écriture au Québec et qui a tenu plusieurs ateliers pour les jeunes. Je vous le recommande. Il s’agit de La fin de l’été, de madame Rollande Boivin.

Sophie, le personnage principal du roman est asthmatique et adore jouer au tennis. Au moment d’aller pratiquer son sport préféré, une crise d’asthme l’attaque et la cloue à la maison. Ne voulant pas supporter l’attention permanente de sa mère, elle accepte d’aller chez ses cousins pour avoir du plaisir et découvrir de belles valeurs comme l’amitié, l’entraide, la solidarité dans cette aventure à la campagne. Elle découvre aussi la guerre et la violence au travers des images télévisées de l’invasion de la Hongrie par l’URSS.

Le livre est agréablement illustré par Fabrice Boulanger et maintient un niveau de langage destiné aux jeunes tout le long. Le texte est très descriptif des lieux, et les dialogues assez joviaux et informatifs sur leur environnement.

Ce livre peut plaire aux jeunes et aux moins jeunes et se lit en peu de temps. Le suspens vous oblige à le terminer.

Marie-Sœurette Mathieu

Boivin, Rollande, La fin de l’été, éditions Cornac, coll. Les petits loups, 2004, illust. Fabrice Boulanger

François Jobin nous parle maintenant de Traduire les lieux/Origines, de Nancy R. Lange et Robert Etcheverry.

Traduire les lieuxC’est un bien bel objet que ce livre signé Nancy R. Lange pour le texte et Robert Etcheverry pour les photos. Intitulé Traduire les lieux/Origines, ce livre tiré à 40 exemplaires aux éditions Le temps volé relate des souvenirs d’enfance de l’auteure tout en évoquant l’histoire des villages de Sainte-Rose-de-Lima et de Saint-Martin, tous deux absorbés par Laval lors du banquet urbain de 1965.

Traduire les lieux est un choix judicieux, car c’est en effet une triple traduction du réel que nous propose Nancy R. Lange; d’abord en image, puis en prose et enfin dans le langage plus exigeant de la poésie narrative. Le lecteur peut ainsi constater qu’on peut dire les choses de plusieurs manières, chacune nous entraînant dans un territoire qui lui est propre.

Les photos, toutes contemporaines, cherchent par leur sujet, leur cadrage ou leur traitement parfois monochrome à restituer pour l’œil un passé encore visible pour qui sait regarder. Certaines évoquent des tableaux connus de Marc-Aurèle Fortin qui avec son cadet Alfred Pellan demeure l’un des plus célèbres peintres de Sainte-Rose.

Les textes en prose appelés voyagements racontent des épisodes de la jeunesse de l’auteure ainsi que des événements plus anciens qui relèvent de la grande histoire, celle qui appartient à tous. C’est ainsi que Nancy nous parle avec affection de personnages familiers, sa grand-mère, ses tantes et même le bedeau de l’église paroissiale dont l’exiguïté d’abord et un incendie ensuite forcèrent deux fois la migration. Du même souffle et avec le même attachement, elle évoque le souvenir des patriotes de 1837, de leur chef, Louis-Joseph Papineau ainsi que du cousin de ce dernier André-Benjamin Papineau qui fut écroué avec Chénier au Pied-du-Courant après la funeste bataille de Saint-Eustache.

Puis, changeant de registre, Nancy nous entraîne dans l’univers de la poésie. Reprenant les mêmes univers ou personnages dont elle vient de nous brosser le portrait, elle les transpose dans une langue somptueuse, mais accessible qu’on se prend à réciter à haute voix pour mieux en goûter la saveur.

Son amour de la langue, Nancy l’explique ainsi :

Engrangés

les mots semence

me vrillent et me font vibrer.

Du peintre contemporain Marcel Saint-Pierre (qu’elle appelle l’alchimiste de Sainte-Rose), elle dit que la nacre des jours lui traverse le corps. En nommant aussi les ponts qui se sont succédé sur la rivière des Prairies, elle nous rappelle que le passé fut naguère le présent et nous ramène à ses racines qui sont aussi les nôtres. Pourtant, pas un instant elle ne sombre dans la nostalgie. Si pour Nancy Lange le souvenir est nécessaire, indispensable, même, le passé n’offre pas matière à regret. Elle le considère comme on examine un bout de bois de grève, sans aigreur ni amertume, cherchant dans les circonvolutions du grain des figures qui lui donnent un nouveau sens.

C’est vraiment un bien bel objet que ce livre Traduire les lieux/Origines.

François Jobin

Lange, Nancy R., Traduire les lieux/Origines, photos de Robert Etcheverry, éditions Le temps volé, 2018