
Inviter des voix à célébrer des rivières avec un projet littéraire qui visiteraient plusieurs d’entre elles : telle est l’aventure à laquelle Nancy R. Lange a convié le public avec le projet Ambassadeurs de rivières, initié en 2015. Celui-ci s’est poursuivi en accéléré au cours de 2017, pour souligner les 20 ans de la coalition Eau Secours! D’ailleurs, Mme Lange est la représentante des Porteurs d’eau pour la coalition. Avec l’aide du RAPPEL : Parole-Création, divers projets ont été organisés (théâtres d’ombres filmés, réalisés dans des Maisons des Jeunes, nous avons colligé des témoignages d’aînés au sujet des rivières pour en faire un clip, créé des spectacles collectifs multilingues, à l’occasion entre autres du Jour de la Terre, et organisé plusieurs concours littéraires visant la mise en valeur des rivières du Québec).
À la fin de 2017, neuf concours littéraires auront célébré les rivières du Québec. Comme le projet est maintenant porté par un regroupement d’auteurs lavallois, et puisque Montréal fête son 375e anniversaire, il a semblé approprié de commencer avec la rivière qui unit Laval et Montréal : la rivière des Prairies.
En effet, contrairement à ce qu’on en dit, les rivières ne séparent pas les villes; elles les relient. Elles étaient nos anciennes routes d’eau. Elles demeurent ce qui nous traverse quotidiennement et les problèmes les affectant se jouent de nos frontières et affectent l’ensemble des citoyens.
Vous trouverez dans ce document les textes de tous ceux qui ont participé au concours La rivière des Prairies m’inspire. Certains textes furent finalistes, un d’entre eux fut lauréat, mais chacun d’eux porte une voix. Quelqu’un s’est arrêté pour prendre le temps d’écrire un texte. Comme une lettre d’amour à une rivière.
Félicitations à André Dagenais, gagnant du concours! Merci à Alain Gravel, de l’organisme Toulesarts de Saint-Eustache, pour le formidable coup de main à l’organisation du concours, sa diffusion et l’organisation de l’événement final. Merci à Librairie Monet, une librairie exceptionnelle qui donne un support formidable à la poésie et à la littérature en général, pour la commandite du chèque-cadeau de 250 $ remis au gagnant. Merci au Musée Armand-Frappier de nous avoir accueillis dans un décor enchanteur sous son chapiteau pour le pique-nique littéraire lors de l’événement final. Merci à Martine Châtelain, représentante de la coalition Eau Secours! pour son support constant, qui accepta d’être jury pour ce concours, avec la romancière Monique Rouleau-Pariseau. Merci à Marguerite Morin, Ambassadrice de la rivière du Nord, et à Marie-Annie-Soleil, pour avoir offert le chant de purification de l’eau en ouverture des lectures. Et surtout, merci à vous, d’avoir accepté de participer à cette rivière de voix.
Vie et santé à nos rivières!
(Vous trouverez les haïkus vers la fin de la page)
1) Laval, le 19 juillet 2017
Ma rivière,
Tu revis à chaque printemps sous la bienveillante protection d’Équinoxe. Emmaillotée dans tes langes glacés, tu t’éveilles en douceur transportant l’espoir du renouveau. Nourrie abondamment par le lac des Deux Montagnes, tu grandis rapidement. Puis soudainement, tu te gonfles et tu débordes sur tes rives densément peuplées. Parfois, tu dévastes même les paysages et les habitations… Les hommes, éberlués, se cachent alors derrière des sacs de sable en attendant que tu te calmes.
Heureusement, le soleil qui se réchauffe parvient à te mûrir un peu. Tu retournes à ton lit, accueillant avec plénitude la vie qui coule en toi et autour de toi. Les hommes se réconcilient avec leur rivière. Les pêcheurs patients se régalent d’alose savoureuse. Les amoureux impatients se découvrent sous la blanche floraison du staphylier à trois folioles.
Puis voilà la belle saison, celle que tu préfères. Celle où tes parcs sont câlinés de bras dénudés, de robes fleuries et de cris d’enfants gavés de soleil. Tes eaux sont rapides et invitantes, et on s’y glisse avec bonheur et défi. Parfois, dans un sursaut d’impétuosité, tu nous prends l’un des nôtres pour l’éternité. Nous le pleurons et nous savons que nous ne l’oublierons jamais. Tu nous rappelles ainsi durement qu’il faut toujours t’aborder avec prudence et respect.
Septembre enfile son lainage. Tes eaux s’assombrissent. Le rouge aux joues, l’orangé aux lèvres, tu te fais belle pour l’automne roux. Il s’étire à tes côtés en un long tapis moelleux, tissé de jours pluvieux. Le soleil décline. Tu te givres de gris. Il fait froid et les nuits sont interminables. Voici l’hiver. Les hommes t’ont barré la route il y a plusieurs années. Et toi, magnifique et fière, tu résistes vaillamment, créant la chaleur et la lumière dont nous avons tant besoin. Pour te remercier, nous illuminons nos maisons d’ampoules colorées et nous parfumons nos cuisines d’odeurs de mijotés et de pain d’épices.
Voilà tes saisons, ma rivière, et voilà comment je les vis. Aujourd’hui, je te louange mais j’ai des craintes parfois pour toi. J’espère n’avoir jamais à te pleurer parce que nous aurons déversé en toi notre indifférence pour les générations futures et notre cupidité pour la modernité.
Par ces mots, je me bats pour toi, pour moi et pour les autres… Que ton courant porte ma voix!
Au plaisir de t’admirer, xxx
Jocelyne Aquin
2) Rie Vie Air
Il y a les petits poissons, qui sont bouffetancés par d’autres poissons. Qui se font eux aussi boustifailler par des plus gros poissons, qui finiront de même en bouchées.
Il y a les poissons qui tournent en rond, dans d’incessantes spirales ascendantes, aspirés.
Il y a ceux qui vont devant, tout droit, en pensant grimper, aller plus haut, toujours plus loin. Alors qu’au fond, ils ne font que descendre, davantage, en aval, le long de la bordée.
Il y a les poissons qui se laissent aller, au gré des flots. Qui n’y peuvent rien, les yeux pleins d’eau, de larmes salées.
Il y a ceux qui nagent, n’empêche, jusqu’à s’épuiser, à contre-courant monts et marées.
Il y a les poissons qui cherchent une voie destinée, vers un cours d’eau encore plus grand, beaucoup plus beau. Qui prendront leur temps, longtemps, pour finalement trouver.
Il y a ceux qui n’ont pas espoir d’un endroit meilleur. Qui ne bougeront pas, qui ne changeront pas, qui préfèreront rester. Qui manqueront d’espace et d’air, à s’en asphyxier.
Et puis il y a cet hameçon, juste ici, juste là. Son reflet brillant, perçant les eaux troublées.
Il n’est qu’un piège pour plusieurs qui n’oseront pas s’approcher des allures terrifiantes de l’appât, où se cache pourtant une très douce opportunité.
De s’accrocher le bec à un fil et de se laisser trainer. La tête hors de l’eau, enfin, pouvoir respirer.
Zoé Beaulieu
3) L’appel de la rivière
Rivière des Prairies, source de vie, ne t’assèche pas
Eau limpide comme le cristal ou le verre
Miroir naturel où jadis Narcisse se mira
Tes flots dansent, tressaillent et tourbillonnent
Quand l’esturgeon menacé sautille à la brunante
Telle une grosse gouttelette d’argent
Ton lit contient rapides et forts courants
Nombre de moulins d’antan y tournaient
Digue importante du génie de ce siècle
Tes zones riveraines sont-elles protégées?
Rivière entourée d’îles
Et de prairies agricoles
Sur tes terres on a construit
Des condominiums aujourd’hui
Eau potable, eau de vie
Or bleu mis en bouteille
Parfois gaspillée, parfois perdue
Vas-tu encore chanter
Ou seulement murmurer
Si tu deviens polluée?
Alors, laisse-toi filtrer
Ne te laisse pas contaminer
Demeure dans ton lit, laisse couler ta transparence
Sous les ponts, les canards et les oies t’attendent
Les rigoles transportent ton cours jusqu’à la berge
Et polissent les galets
De ton eau purifiée
Par petites vagues démasquées
Ruth Benchetrit
4) De bleu et d’argent
Le soleil sous la lumière opaline
Se miroite sur une rivière cristalline
Rivière-des-Prairies!
Ruisselle et séjourne dans son lit
Bleu acier et bleu pervenche
Eau sur laquelle les feuillus se penchent
Promeneur du soir guette les sarcelles
Le contemplatif est sur sa balancelle
Rivière des Prairies!
Ses flots dansent et tourbillonnent
Quand l’esturgeon menacé espionne
Le pêcheur à la brunante en émergeant
Telle une grosse gouttelette d’argent
Ses vaguelettes comme des petites plumes
Se démasquent en modestes écumes
Des brindilles çà et là folâtrent tout autour
De cette beauté naturelle qui vaut le détour
Les rigoles polissent les galets
Et font jaillir son eau purifiée
Eau potable, or bleu mis en bouteille
Souvent gaspillée, cette liquidité merveille
Rivière des Prairies!
Laissons-la se filtrer pour chanter encore
Ne la polluons pas, les déchets au-dehors!
Laissons-la couler en transparence
Sous les ponts, les canards entrent dans la danse
Féérie d’un duel de teintes complémentaires
Invitation aquatique à son destinataire
Image immortelle scellée à jamais
À la une de mes poèmes désormais
Ruth Benchetrit
5) La rivière des Prairies en héritage
C’était un soir de février où sévissait une tempête de neige imposante. Ça faisait des heures qu’il neigeait et rien ne laissait présager un répit. Comme toute chose a son bon côté, j’ai décidé de me faire plaisir. Confortablement installée dans mon fauteuil préféré devant le feu de foyer, bien enveloppée dans mes vêtements zen, j’écoutais de la musique, un petit verre de vin à la main.
Complètement détendue, je laissais mon esprit divaguer et c’est ainsi que je me suis envolée sur les bords d’une rivière.
Je me revoyais chez mes grands-parents qui habitaient à Sainte-Dorothée. C’était toujours un plaisir de les visiter. Ils avaient une ferme avec des animaux, et un chien prénommé Blacky que j’adorais.
Le dimanche, avec mes parents, nous allions dîner avec eux. L’été, on faisait des pique-niques sur le bord de l’eau. Ma grand-mère étendait une grande couverture et on mangeait en contemplant la rivière qui était si belle. Elle coulait doucement comme une douce chanson. C’était la rivière des Prairies. Son eau bleutée et limpide était invitante. Quelquefois, on avait la permission de se baigner. C’était alors la fête.
Penser à cette rivière évoque en moi tellement de beaux souvenirs. D’autres fois, mon grand-père nous prêtait des cannes à pêche et là, quand on avait la chance d’attraper un poisson, on était le « héros du jour ».
Cette rivière était assez calme, mais mon grand-père m’a appris que plus loin, elle était déchaînée. Il y avait des rapides. C’était beau à voir, mais il ne fallait pas s’y aventurer. Attention! Danger! C’est une richesse cette rivière, disait-il. À l’époque, je ne comprenais pas trop ce qu’il voulait dire. Aujourd’hui, je réalise la valeur inestimable de nos cours d’eau. L’eau, c’est la vie. Il faut préserver ces trésors.
On a longtemps bafoué, malmené nos rivières, on leur a manqué de respect en jetant toutes sortes de saletés, en les polluant, sans penser que, plus tard, nos descendants n’auraient plus la chance d’en profiter comme nous.
Attention, la nature se rebelle parfois. Il est grand temps de se reprendre en main, d’agir pour que ce sabotage arrête, et vite, avant qu’il ne soit trop tard.
Et tout à coup, un petit bruit me fait sursauter. Je sors de ma léthargie et regarde par la fenêtre. Ça y est, la neige a cessé, le vent est tombé, la nuit s’annonce bien.
Louise Binette
6) Les arbres et la rivière
Promesses d’une source neuve
les arbres et la rivière
me nourrissent et m’abreuvent
me prodiguent fraîcheur
feuillage, fleurs et fruits
Les arbres et la rivière
sont mes pères, ma mère
S’ils disparaissent
je disparais aussi
Je vous crains, pétrolières
et ce venin funeste
qui coule en vos artères
Arbres, rivière, humains
nous sommes tous « enfants de la lumière »
ne sommes qu’un
Où vivront les petits de mes petits
si vous détruisez ce jardin
nous prodiguant fraîcheur
feuillage, fleurs et fruits?
Diane Boudreau
7) La rivière des Prairies m’inspire
Depuis ton existence tu nous enchantes
D’abord les Amérindiens, puis d’autres humains
On t’a baptisée et rebaptisée… mais enfin
Ton premier nom s’arrêtait sur Shawanoti
C’est la désignation qu’on t’avait choisie
Plus tard, un Français, François des Prairies,
Lors d’une expédition, par erreur m’a-t-on dit
Le mauvais embranchement, il avait pris
Champlain mis au courant, te cédait : rivière des Prairies
Les Anglais te voyaient l’une des leurs, te précisaient : Back River
Chacun te percevait un filon à exploiter
On désirait te braver, te posséder
Les premiers t’empruntaient pour joindre Montréal
Après, les seigneurs de l’endroit, selon leur idéal
De tes rapides, favorisaient leurs moulins, puis une digue
À tes côtés, on établissait quelques maisons pour y rester
Voyant la pénurie de logis, nombreux venaient s’y accrocher
À une vitesse grouillante, un village s’agglomérait et portait ton nom
Tu as vu s’édifier à la course, toutes sortes d’habitations
La nécessité des villes grimpait tout le long de ton appellation
Même un barrage hydroélectrique s’observait sur ton lit
Avec la modernisation, se préoccuper de toi, on avait omis
Ta détérioration par la contamination, les déchets
On a dû s’atteler à ta dépollution, par respect.
Depuis, nombre d’idées n’ont cessé de proliférer
Ah! Belle rivière, de l’animation tu voyais se défiler
Des attractions diverses, on a monté
De la navigation de plaisance aux sports nautiques
Des lieux de villégiatures, des endroits touristiques
Par ailleurs, tu portes l’alose et l’esturgeon jaune dans ton cœur
De l’amont en aval, tu gardais continuellement ton rang
Poussé par le lac des Deux-Montagnes pour te fondre dans le Saint-Laurent
Avec ta copine, rivière des Mille-Îles, une île s’est bouclée
Plus tard, j’ignore si tes ondes se feront déplacer ou aménager
Car pareil à tes eaux, le progrès, on ne pourra le figer
La beauté, c’est que tu resteras fidèle à la terre
Nul ne t’empêchera de sillonner encore longtemps, je l’espère
Inlassablement, multitudes d’oiseaux différents te suivront
Or, peu importe la transformation de ton nom
Tu demeureras à jamais, une source d’inspiration.
Cécile Bouchard
8)
3 h 11. Si je pars maintenant j’vais m’retrouver à la brunante avant longtemps. Comme un foutu départ manqué. Depuis haut comme trois pommes et demie que je rêve le jour où mes jambes vont prendre la place de mes yeux et que le rêve va se mettre à se mouvoir. Je suis tellement habitué de te regarder passer que je suis tombé dans la contemplation. Mes jambes se sont croisées comme à l’accoutumée et mes yeux se sont perdus dans ta descente.
Mon bateau flotte au quai et moi, assis dans l’herbe, je te regarde aller. J’ai raté mon départ. Tu le savais que j’partirais pas. On se connait tous les deux depuis le temps. T’es la femme avec qui j’ai le plus conversé. T’es la seule femme avec qui j’ai jamais conversé. J’t’ai donné mes peurs et mes espoirs à emporter et tu les as pris, tu les as insérés dans le creux de ton flot, précieusement, comme des joyaux. Jamais tu les as dévoilés, des secrets déposés sur la cime de tes vagues, comme des gouttes de rosée qui disparaissent avec le matin. Tu connais toutes mes peines, t’as accueilli mes larmes et tu les as insérées dans tes eaux usées. On s’est charmé, on s’est accompagné, on s’est nourri mutuellement… On s’est aimé.
Ton eau clapote sur la coque de mon bateau. C’est rassurant un bateau au quai, ça permet l’idée du voyage, de l’escapade, la rêverie du mouvement. Toi et moi, on est une histoire de berges et de courants. J’ai laissé voguer mon âme vague sur toi. Ton mouvement a guidé mon immobilité. Voilà pourquoi tu savais que j’allais pas m’embarquer. Je suis profondément d’ici et toi tu es d’ailleurs. 3 h 19. Quelque part, ta mouvance me porte.
Kym Brennan
9) Skawanoti
Quand
la rivière ténébreuse
secoue sa chevelure
incertaine
souffle coupé
fleurs d’écume
jardin intime où se révèle
un reflet
le tremblement de l’autre
et efface
ce qui n’est pas
encore nommé
chahutées
nos âmes vagabondent
plongent rebelles
dans l’écho
des rives sauvages et nues
caché
en arrière de l’île
le fleuve porte
peurs espoirs
passages tourmentés
sublimes instants
témoins éphémères
d’une époque qui prend fin
à une autre où nous entrons
silencieux
offrandes invisibles
jusqu’à la transparence
chutes gigantesques
des anges
devant tant de splendeur
millénaire
Cristophe Condello
10) La rivière d’en face
Les Hurons l’appelaient Skawanoti, la rivière en arrière de l’île. Pour moi, la rivière des Prairies a toujours été la rivière en face de chez nous, la frontière naturelle et mouvante qui séparait la ville dortoir de mon enfance de la ville avec un V majuscule. Sur la pointe du marigaud, entre les eaux stagnantes d’un côté et la rivière de l’autre, ma première expérience de la senteur de l’eau douce, un parfum subtil de poisson, d’algue, de grenouille et dans les grands érables argentés qui ombrageaient ses rives, la symphonie des oiseaux. À 10 min de la maison, nous entrions dans un autre univers, un sanctuaire sacré, mais qui avait un goût de vacances et de liberté. La rivière des Prairies a sa personnalité propre. C’est une rivière vivante, l’eau est toujours en mouvement, même en aval des rapides. On sent qu’elle n’est que de passage. La ville et la banlieue ne l’intéressent pas, pressée qu’elle est de retourner à la mer. Pourtant, elle nous parle. Elle nous raconte les nuages, le lac des Deux-Montagnes, la rivière des Outaouais, les saisons et l’histoire millénaire des gouttes de pluie qui l’ont inventée, celle de tous ses habitants aussi, la frénésie des fraies du printemps, les hérons, les colverts, les castors et les rats musqués qu’on voit encore sur ses eaux, indifférents à notre urbanité. La rivière est femme, vive, fraîche, énergique et parfois, un peu trop débordante d’enthousiasme lorsque le printemps la fait quitter son lit pour reprendre les terres qui lui appartiennent et nous rappeler, à nous qui oublions trop facilement, que la nature se fout un peu des zonages et règlements municipaux.
C’est sur ses rives que ma mère a vu le jour et vécu une partie de son enfance, dans les années lointaines d’un autre siècle. Par la suite mon grand-père a déménagé en ville, celle des tramways, des chats de ruelle, des escaliers et celle de Michel Tremblay. Le lien qui nous lie à une rivière est profond et puissant. Comme le saumon remonte les eaux jusqu’à la rivière qui lui a donné naissance, c’est près de ses rives qu’elle a élevé sa famille pour que le même lien d’eau et de mémoire nous unisse. Plus tard, ses oiseaux ayant quitté le nid, elle s’est installée sur les rives de sa chère rivière, presque en face du lieu de sa naissance. « Sa » rivière, ou je devrais dire, son amie, toujours changeante au gré des nuages, des saisons, des aubes et des crépuscules. Sa rivière dont elle nous parlait toujours avec amour et émerveillement, jusqu’au jour où ses paroles et ses pensées se sont envolées, une à une, pour suive le fil du courant, là-bas, vers le grand océan de silence qui nous appelle. Rivière des Prairies, rivière de la mémoire de ma mère, rivière de mon enfance, tes eaux me bercent et me baignent, me nourrissent et m’abreuvent au plus profond de ma chair et jusqu’à l’âme. Je serai toujours ton enfant.
André Dagenais,
Lauréat
11) Bleu comme rivière
les
flots
roulent
roucoulent
en rubans
ils enlacent la rive
entre les bras du jour
qui veille à la brunante
comme l’amante éprise
caressant les ajoncs rêveurs
au rythme de la langueur des heures brèves
qui chatoient sous le soleil railleur d’un juillet
où dansent les cascades croisées au passage des
méandres et lacis grisâtres subjuguant les cailloux moqueurs
tout en ricochets que les gamins lancent sur l’onde rageuse
la grisaille des cailloux échoués au cœur de leur été
sous l’œil de la pluie qui glisse sur le toit de l’avenir
mésestimant les épis abandonnés au mépris du feu
qui se languit en pure perte sur l’oreiller du festin
alors que s’endorment les lettres mortes esseulées
sur le macadam des sans-logis à l’œil morne
qui donc leur octroiera le sauf-conduit
et captifs de leur détresse
dans cet univers
remaillé à l’envers
de l’air du temps
qu’il tait
à la fenêtre
de ton cœur
en cet hier
déjà
En
fui
Aimée Dandois Paradis
finaliste
12) Autour de ma rivière
Duvernay. Berge du Barrage. À quelques pas
de l’eau. Vers le pont Pie IX, la rivière en robe
de moire avec, au pied du barrage, un collier
de diamants d’eau au cou.
La grève de galets ressemble à un long flocon
de maïs gris souris.
Berge Olivier-Charbonneau. Les bruits du pont
Charles-de-Gaulle arrivent jusqu’à moi en taxi
sur le vent.
De gauche à droite, les eaux en trois bleus : le
bleu ici de la des Mille-Îles, le bleu proche de
la des Prairies et le bleu là-bas du Saint —
Laurent, dont je devine la fuite entre les îles.
Berge des Écores. De l’autre côté de la rivière,
derrière les carrousels effilés des clochers de la
Visitation, s’étire un ciel dont les nuages portent
dans leur besace une possible neige.
La rivière frissonne de toutes ses vagues et les
saules valsent de toutes leurs branches. À leurs
pieds, un tapis de feuilles comme des écales.
Au-dessus de l’eau, assoiffés d’elle, quelques
troncs ont fléchi à s’en noyer.
Sur la berge, des branches sans feuilles font
croire au ciel qu’elles vont le griffer.
Il en rit, inaccessible malgré sa totale présence.
Dans la grisaille des alentours, le vert des
pins est presque indécent de vie.
Je me demande comment la Rivière existe
encore telle quelle malgré l’empiètement en
tout genre qu’on lui fait subir depuis plus de
cinquante ans.
On se maintient toujours ici dans l’ordre de la
campagne, sauf pour le béton.
C’est l’eau qui tient tout ensemble.
Et les arbres qui l’ombragent à la pièce.
Rue Notre-Dame-de-Fatima. Au pied de la
côte, la Rivière, comme un vitrail se mouvant
entre les branches.
Laval-des-Rapides. Parc de l’Institut Armand —
Frappier. Les chemises bariolées que novembre
a déchirées sur le dos des arbres, c’est de ma
Rivière dont elles laissent voir le corps nu.
Montréal. Ahuntsic.
Parc de l’Île-de-la-Visitation.
Halte obligatoire — aussi courte soit-elle — au
belvédère du déversoir pour tenter d’imaginer,
encore une fois, à quoi pouvait ressembler les
fameux rapides qui, après la noyade de Viel et
Ahuntsic, ont reçu le nom de Saut-au-Récollet.
Posées en silence sur le bras sud de la Rivière
autour de l’île, des outardes, comme des roches
avec un cou, flottent à l’ancre.
Montréal. Bordeaux. Autour du Parc de la
Merci et de l’île Perry.
Sur la rive de la petite anse en amont du bras
de la rivière qui contourne l’île par la gauche,
un tremble de vingt ans, grignoté comme un
vulgaire bretzel par un super dentu à la fête,
pointe vers le ciel ce qui lui reste de tronc,
crayon sans mine, mais bombe écologique.
Quand je pense à la plaie qu’est le castor
urbain, j’aime encore moins Brigitte Bardot.
Île Perry. La bête à queue plate a encore frappé.
Deux autres trembles abattus.
Des poumons qui frémissaient depuis trente ans
à la pointe nord-est.
Crise du logement au printemps pour les
oiseaux dépossédés.
Claude Drouin
finaliste
13) La rivière des Prairies m’inspire
Tu es une rivière au passé généreux.
Je t’ai interrogée pour te connaître mieux.
Ton parcours d’ouest en est avait beaucoup à dire
Et si j’écris sur toi, c’est parce que tu m’inspires.
Des groupes amérindiens te connurent d’abord;
On les vit s’arrêter pour dormir sur tes bords;
Certains venaient cueillir des myrtilles des bois;
Certains venaient chasser des bêtes aux abois.
Pour descendre ton cours, affronter tes rapides,
Il fallait être habile, voire même intrépide,
Déjà en ce temps-là, qu’il fasse beau ou qu’il pleuve,
Tes eaux tumultueuses se ruaient vers le fleuve.
Des siècles ont préservé ta riante nature
Et voilà que des gens aux drôles de vêtures
S’invitèrent à leur tour, croisèrent tes eaux claires
Et virent que ton parcours avait tout pour leur plaire.
Tes flots portèrent des âmes en quête d’aventures
Qui ramenèrent plus tard des ballots de fourrures.
Aussi des étrangers, en amour avec toi,
Descendirent sur tes berges pour s’y bâtir un toit.
Tes forêts en bordure devinrent des prairies;
Pour toi, couler l’été devenait féérie.
Tu voyais maintenant s’ériger des villages;
Quelques moulins à vent saluaient ton passage.
Et puis on s’agita le long de tes rivages,
On harnacha tes eaux, on leur fit un barrage.
Les sons des angélus, des glas tout en sanglots,
Tu les as entendus au rythme de tes flots.
Les fermes que tu voyais disparurent peu à peu.
Tes rives si fertiles devinrent des banlieues,
Qui alors, à leur tour, devinrent des cités.
Et toi, tu coules encore, seule pérennité.
On ne pagaye presque plus sur tes flots agités.
Des voiliers font la fête lors des beaux jours d’été.
Des parcs furent créés le long de ton parcours
Et c’est pour mieux te voir que les badauds accourent.
Maintenant sur tes rives des buildings orgueilleux
Se mirent tous en tes eaux par soleil radieux,
Et toi, tu leur renvoies l’effet de ces rayons
Que mille retraités peuvent voir de leurs balcons.
Ronald Duclos
14) La rivière des Prairies m’inspire
Toi, ma belle rivière aux allures de fleuve, je veux te dire ici à quel point tu m’inspires. Pour débuter ton cours, toi, tu n’as pas voulu d’un timide ruisseau. Il t’a fallu un lac à la large étendue. Des eaux calmes, indolentes, tu n’en savais que faire. Tu traças ton chemin sur des fonds tourmentés. Depuis le cours des âges, jusqu’où peut remonter la mémoire des hommes, ton caractère d’antan ne s’est pas démenti. À tes aires d’eaux calmes succèdent soudain des flots bouillonnants qui se bousculent aux rochers de tes nombreux rapides. Tes eaux ne s’engourdissent pas, ne viennent pas dormir sur tes riants rivages, car tu les pousses lestement vers le grand fleuve qui t’attend.
Skawanoti, un nom que tu as longtemps porté et qui signifie en dialecte amérindien « la rivière qui passe derrière l’île ». Les Algonquins, ces gens d’une nation nomade, ont descendu tes eaux et ont installé durant d’innombrables lunes leurs wigwams sur tes rives. Ta flore d’alors recelait des baies de toutes sortes ainsi que des herbages aptes à guérir différents maux. Des poissons à la chair recherchée abondaient dans tes eaux pures et venaient folâtrer près de tes rapides. En ces temps ancestraux, ceux qui te connaissaient t’aimaient, car tu étais nourricière par tes rives et tes eaux.
Des gens venus d’Europe te découvrirent à leur tour. Ils virent en toi une alliée fidèle et durable. Ils installèrent leurs minces pénates dans la pleine forêt de tes rives. Des cognées de haches retentirent, des arbres disparurent, des arpents furent mis en labour pendant que de jeunes familles dormaient maintenant au chaud dans leurs petites demeures en bois rond que tu pouvais voir en passant. Tes rapides apportèrent la postérité aux nouveaux paysans. À Sault-au-Récollet, tu prêtas les eaux de tes rapides pour y activer les scies d’un moulin ainsi que les meules d’une meunerie. Tout en jouant avec les pierres de ton cours, on t’entendait chanter à la roue du moulin qui meulait des minots d’avoine, de blé ou d’orge que rendaient les terres sur tes rives. Tu aidas également au cardage de la laine que de fières fermières transformaient en multiples vêtements. En ce temps-là, on venait de loin profiter du travail de tes flots.
Après avoir aidé à bâtir maisons, à mettre nourriture sur les tables et à habiller les corps, voilà qu’arriva l’époque où on te demanda de chauffer et d’éclairer les bâtiments. On installa une centrale sur ton majestueux parcours. Industrieuse tu devins et ta voie cessa d’être navigable. Tes rives devinrent bientôt de vastes chantiers d’habitations qui firent place aux fermes prospères. Ces nouveaux arrivants, ignorant ton glorieux passé, se servirent de ton cours comme transport à déchets. On tenta de t’empoisonner et seule la vigueur de tes flots troublés t’aida à survivre.
Maintenant, on a compris et on te paie réparation. Des parcs furent créés à ton intention et il fait bon se prélasser près de toi. Tu redeviens celle qu’on admire.
Ronald Duclos
15)
Au clair matin
roucoule ma rivière
et de ses cascades pures
elle baigne d’éclaboussures
les berges
On dirait
un chant de nymphe
au gré des méandres,
où pleure de joie un saule
Sous les gazouillis de vertes grenouilles
de libellules chatoyantes
perchées aux quenouilles
ou battant des ailes de bonheur
Aux clapotis ricaneurs des enfants
Est-ce l’éveil à la frayère
de poissons rêveurs
au sein de la douce
ou tumultueuse
rivière des Prairies
Nicole Faucher
16) EAU SECOURS
Mon rêve
Vivre ma liberté
Au sein de mes eaux claires
Mais vous m’imposez
Vos saletés.
Au printemps 2017
Je crie : « C’EST ASSEZ! »
Villes, villages riverains
Cessez de me harnacher
Afin que mon sillage
De nouveau soit serein,
Écoutez ma prière
libérez
Mon onde claire
Nicole Faucher
17) L’AUBE
L’eau cristalline
Du rocher
S’écoule, danse, sillonne
De pierre en pierre.
S’évase au détour,
Devient charmant ruisseau.
Je te suis des yeux
Jusqu’à la rivière bleue,
Qui émerge au loin,
Chatoyante sous les reflets du soleil.
Par ta beauté,
Ce matin naissant,
Me baigne de ravissement. Dès l’aurore
roucoule ma rivière
et de ses cascades pures
elle baigne d’éclaboussures
les berges
Nicole Faucher
18) Bleu comme rivière
Pays de lacs et de rivières,
De territoires immenses,
Tu jouis de ma présence,
De la vie que j’ensemence.
Je t’offre ma beauté,
De ta complicité
J’ai besoin pour me protéger.
Je t’abreuve,
Tu me mets à rude épreuve.
Sur mes eaux tu navigues,
Pire que les castors, tu m’endigues.
Je te lave,
Tu me souilles.
Je te nourris,
Tu m’avilis.
Pays de lacs et de rivières,
Richesse de la Terre,
Écoute ma prière.
Ne fais pas de moi un cimetière.
Nicole Faucher
19) Ma rivière
Furtif
mon coup d’œil sur ton échine ondulante
répété de l’escalier au poêle
de l’armoire à la table
Tu roules
rivière de mes pas
Furtif
mon coup d’œil sur ton échine ondoyante
Mouvement essentiel à mes pensées
qui les dénoue
Tu es là
témoin puissant de mes gestes
Furtif
mon coup d’œil sur ton échine d’embâcle
en ces jours d’attente
Et long
mon regard sur tes débâcles
quand la sérénité me gagne enfin
Dominique Gaucher
finaliste
20) Rivière amoureuse
Comme rivière mon amour,
Tu vas heureuse.
Tes pas sur la berge,
Empreintes de ton passage.
Je te regarde, baignée de bleu
Coulant dans ta robe,
Reflet de chatoiement,
Du soleil éclatant.
Le jardin de tes pensées,
Suspendu aux roseaux
Se laisse bercer au gré du vent,
Caresse du jour fuyant.
À la brunante, ton corps
Suit le cours de la rivière,
Sous les reflets ensoleillés
Tels baisers d’un ami.
Je t’aime ma douce, ma mie…
Michel D. Gauthier
21) Rivière bleue
Les mots dansent sur le tableau,
Bleus comme tes yeux.
Je vois ce mirage tout beau
Sur neige au fond heureux.
Silence des gens, des inconnus
À l’affût de l’instant,
Comme enchantement incongru.
Les mots sont diamants.
Ton cœur bat douce France,
Tel le lointain souvenir
D’une nation neuve, en transe.
Geste et écho d’un désir.
Va belle amie dans le rêve,
Bercée par un fleuve
Baignant côtes et grèves.
Tes eaux m’émeuvent.
Inscris-toi dans ma peau,
Durable ensorcellement
Mystique comme drapeau
Sur rivière du temps.
Michel D. Gauthier
22) Rivière des Prairies
La barque fend l’eau à contre-courant
Et les vagues créées meurent non loin
L’esprit préoccupé du sieur des Prairies
Partagé sur la partie du fleuve à prendre
S’engage dans ce qu’il croit le Saint-Laurent
Et par là pense se rendre au sault Saint-Louis
François Des Prairies navigateur de Saint-Malo
Compagnon du sieur Samuel de Champlain
Livrant une barque d’on ne sait de quoi
L’histoire ne dit rien de la cargaison
Précieuse ou pas mais ô pratique
Qu’en est-il du chemin parcouru
Voie canotée par les Indiens jadis
Dite Skawanoti en langue iroquoienne
Qui veut dire la rivière au nord de l’île
Des Prairies sait-il où il s’en va par là
Du courant fort parsemé de saults
C’était en l’an mille six cent dix
S’éloigne-t-il du sault Saint-Louis
Qu’enfin il y est arrivé sain et sauf
Dieu sait comment mais je crois
Qu’il a monté jusqu’à la source
Du lac des Deux-Montagnes
Pour revenir vers le fleuve
À sault Saint-Louis il se raconte
Les messieurs ont bien ri l’affaire
La blague étant abracadabrante fleur
La rumeur se répand dans les officines
L’erreur a marqué les esprits navigateurs
Bien qu’en l’an mille six cent trois déjà
Pont-Gravé avait remonté la rivière
Au long cours pour les fourrures
Un cartographe de Champlain même
Accompagne cet homme d’affaires
La route des Indes n’est pas loin
Dans les esprits conquérants
La vague rivière au nord de l’île
Passage vers la maison longue
Skawanoti survit encore
Entité le long de l’île
Des Prairies mort
Son nom reste
Une rivière
Française
Alain Gravel
porte-parole du concours
23)
Dès l’aurore
roucoule ma rivière
et de ses cascades pures
elle baigne d’éclaboussures
les berges
On dirait
un chant de nymphe
au gré des méandres,
où pleure de joie un saule
Sous les gazouillis de vertes grenouilles
de chatoyantes libellules
perchées aux quenouilles
battent des ailes de bonheur
Aux clapotis ricaneurs des enfants
s’éveillent à la frayère
les poissons rêveurs
au sein de la douce ou tumultueuse
rivière des Prairies
Danielle Hénault
24) La rivière des Prairies m’inspire
Avançant lentement sur le rivage, Juliette demande : « Rivière des Prairies, est-ce que ton eau voyage à travers le temps depuis des millénaires? » « Oui, elle connaît tous les continents, toutes les profondeurs des océans. Mon eau aspirée par la chaleur du soleil, se balade aussi dans les largesses du firmament, concentrée en nuages ouateux et enrobant. Quel temps fera-t-il demain? »
Et Juliette, laissant naviguer son imagination, songe. Rivière des Prairies, ton eau serpente entre deux îles, caressant leur rivage et devenant l’amante du soleil couchant. Quelle splendeur se dégage de nos deux amoureux s’entrelaçant l’un dans l’autre dans un crépuscule doré! Et l’eau de dire à son amant : « Hum! Comme j’aime m’enrouler dans la gerbe de tes rayons ardents avant de m’endormir sous les étoiles du firmament. Quel rêve magnifique m’habite! »
Quand la froidure prend le dessus, ton eau devient couche de glace. Même le soleil darde ses rayons avec moins d’ardeur. Tout comme le sang dans le corps, l’eau emprisonnée sous la glace poursuit son allure sans freiner son effort pour atteindre le bout de l’île.
Les villes longeant ton parcours s’alimentent : eau de la lessive, eau de la douche, eau de la cuisson, eau de l’irrigation de plusieurs terres agricoles, eau bienfaisante, eau miracle de la nature. Ta centrale hydroélectrique permet à de nombreux riverains et à des usines de s’approvisionner en électricité.
Eau amie du vent. Le vent produit des ondulations sages, lentes et parfois des vagues atteignant plus d’un mètre. Ton tempérament doux parfois devient violent, se balançant au rythme de tes relations avec ton ami le vent. Il te remplit d’énergie. Oui! Il aime souffler, te faire frémir, t’enrouler pendant les orages. Tu en perds ta stabilité…
Assise sur une roche au bord de l’eau, Juliette s’interroge : « Pourquoi tant d’humains polluent-ils ce majestueux cours d’eau? Où se situe leur harmonie avec la nature? Ont-ils conscience de leur bavure? Combien de temps va durer ce fléau? » L’eau crie : « Au secours! Qui va me sauver? » Eau, moteur de la création; si tu empoisonnes l’eau, tu empoisonnes toute l’humanité, toute forme de vie sur la planète. Tu deviens un meurtrier de la création, de la nature. Quelle punition mérites-tu? Après des décennies de pollution, qui va participer au nettoyage de la rivière des Prairies? Juliette s’adresse à COBAMIL afin d’obtenir une subvention pour le nettoyage. Bravo Juliette!
Hélène Lamarre
25) Entre deux rives
Le « pont des gros chars », disait ma mère. Pour nous, c’était le pont des trains, ou plus simplement, la rivière. Le téléphone sonnait, une courte conversation suivait — dans la mesure où une conversation entre adolescentes peut être courte… — qui se terminait immanquablement par « On se retrouve à la rivière! »
Geneviève demeurait sur la rue Bois-de-Boulogne, près du boulevard Gouin, et moi, à une rue de l’autoroute 15, du côté lavallois de la rivière des Prairies. Un trajet de cinq minutes à vélo, à l’époque où des racines nous vissaient sur nos selles de la fin juin au début septembre. Je pédalais sans arrêt, jusqu’à ce que la vue de la rivière fasse naître un inévitable sourire sur mes lèvres. La rivière, c’était l’été, l’éternelle renaissance de l’amitié! Parfois, l’une d’entre nous arrivait avec son sac à dos et ses effets pour passer la nuit dans l’autre ville, de l’autre côté de la rivière; quelle aventure!
Souvent, nous nous appuyions sur la rambarde du pont, laissant s’écouler notre regard vers les flots. Nous discutions de choses d’ados, nous qui savions tout dans ce temps-là, et nous refaisions le monde. À d’autres moments, des secrets s’échangeaient en toute sécurité, car aussitôt prononcés, ils se retrouvaient happés par les vagues et bien vite emportés en aval, là où la rivière rejoint le fleuve, dans des lieux aussi exotiques que Lanoraie, et même Trois-Rivières! Les vagues se garderaient bien de murmurer nos confidences, nous le savions.
Certains jours, nous étions si courageuses que nous osions même traverser le pont Perry… sur les rails! Nous bravions l’interdit en nous lançant d’arrogants « T’es pas game!
— Mets-en que je suis game! Regarde-moi ben aller!
— Non, c’est moi qui passe devant! »
Nous nous élancions pour savoir laquelle de nous deux atteindrait la voie ferrée la première; je perdais toujours, mais quels souvenirs ai-je gagnés !
Les étés défilaient à la vitesse de nos bolides à deux roues, du côté d’Ahuntsic, jusqu’au Parc de l’Île-de-la-Visitation à l’occasion, ou bien sur la piste cyclable qui nous emmenait derrière le Mont-de-La Salle. Puis, quand la fatigue nous tenaillait, nous descendions sur l’île aux fesses — l’Île Perry, appris-je bien plus tard — pour reposer les nôtres sur le gazon. Les vagues cheminaient paresseusement entre les deux rives tandis que nous nous envoyions des rasades d’eau bien fraîche dans le gosier et de grosses bouchées de barres tendres aux pépites de chocolat. La rivière chantait l’été, l’air embaumait l’été et notre peau cuite à point restituait dans l’air tiède tout le soleil emmagasiné durant nos randonnées au bord de l’eau.
Aujourd’hui, Geneviève demeure à Saint-Jérôme; c’est désormais la rivière du Nord qui compose la trame musicale de nos étés, et des voitures qui nous trimballent d’une ville à l’autre. Mais les flots de la rivière des Prairies dansent encore devant mes yeux quand nous raccrochons sur « On se retrouve à la rivière! »
Annie Larochelle
finaliste
26) Le charme des rivières
Née dans une ville de la mer en Bretagne
j’ai découvert le charme des rivières du Québec
souvent plus larges que les fleuves français
avec l’avantage de goûter le spectacle des deux rives
très riantes l’été, neige et glace l’hiver
Mes sorties m’orientent souvent à ciel découvert
au bord de la rivière des Prairies à Laval
qui par gros temps s’offre des vagues
copiant la mer à l’embouchure du Saint-Laurent
et celles produites par les embarcations de loisirs
Il reste quelques espaces verts où faire une pause
sur un banc bien placé pour apprécier le paysage
partie de mes habitudes de citoyenne en ces lieux
c’est agréable de m’y laisser aller à quelques rêveries
emplies de gratitude pour ce plaisir si simple et naturel
Gaëlle Le Clézio
27) Lettre ouverte aux lectrices et aux lecteurs de la revue Cours d’eau
Chères lectrices,
Chers lecteurs,
Votre intérêt pour la rivière des Prairies me touche et m’incite à partager avec vous les connaissances acquises après des années de recherches méticuleuses.
Sachez d’abord que, bien avant toute présence humaine, le grand lac des Deux-Montagnes, fils adoré de la rivière des Outaouais, entoure amoureusement l’île qui, de nos jours, se nomme Bizard et engendre deux filles splendides : les rivières des Mille-Îles et des Prairies.
Or, le grand lac est le vassal d’un puissant suzerain insatiable, le Saint-Laurent, auquel il doit payer le tribut d’énormes quantités d’eau. L’avidité de l’ogre fluvial est motivée par la nécessité d’aider la reine Atlantique à combler d’eau l’espace entre l’Europe et l’Amérique pour que les bateaux puissent un jour venir chez nous. Fidèle à ses devoirs, le lac mandate donc ses deux filles d’assumer cette responsabilité.
Prudent, il les envoie par des chemins séparés pour qu’au moins l’une d’elles arrive à destination, advenant un malheur. Il leur enjoint aussi de recueillir l’eau de leurs affluents respectifs.
La plus longue mais la moins puissante, la rivière des Mille Îles, part discrètement vers la gauche.
La rivière des Prairies, plus courte, mais plus fougueuse, se précipite à droite vers l’aventure.
Sémillante, elle dévale allègrement la pente de son lit, bondissant par moments d’un plan d’eau à l’autre. Son courant souvent très fort découragera toute velléité de paresse. Elle ne s’offrira donc pas facilement à la navigation, mais imposera le respect en obligeant parfois le futur voyageur au portage. Ses remous, ses sauts, ses rapides, tout en froissant sa robe fluide, n’en altèrent aucunement la beauté. Sa belle énergie tumultueuse sera un jour mise à profit : ses eaux alimenteront les moulins, puis un barrage hydroélectrique.
Elle héberge en son sein l’alose savoureuse et l’esturgeon jaune. Sauvagine, amphibiens, animaux divers apprécient les aires de reproduction invitantes de ses rives. Sous l’œil vigilant des érablières argentées y croissent le micocoulier occidental, l’orme de Thomas, le staphylier à trois folioles et l’aigremoine pubescente, espèces aujourd’hui à statut précaire.
De nombreuses îles verdoyantes agrémentent son trajet et servent de dalles à un soleil généreux qui y pose le pied. Celles qu’elle croise au début se révèlent relativement petites, mais elle s’insinue bientôt dans l’espace exigu qui sépare deux spacieux territoires insulaires sur lesquels s’épanouiront un jour les villes prospères de Montréal et de Laval.
Enfin, elle contourne la pointe du territoire de gauche, nommé plus tard île Jésus, fusionne avec sa sœur, la rivière des Mille Îles. Unies dans une étreinte sororale chaleureuse, toutes deux se déversent dans le Saint-Laurent, qui les accueille à bras ouverts. Leur mission s’avère un succès. Leur père en éprouve une grande fierté.
En espérant que ces quelques lignes nourriront votre amour pour cette belle rivière, la rivière des Prairies, je vous prie de recevoir, chères lectrices, chers lecteurs, mes plus cordiales salutations.
Louise Leblanc
28) Les berges courtisées
La rivière s’épanche
Inlassablement
Reflet d’éternité
Sous le vent
Elle s’anime, rugit, se hérisse
Puissance érosive
Ses méandres
serpentent
Vers une embouchure libératrice
Malheurs aux âmes téméraires
La rivière attaque furieusement
Avec ses remous
Et courants giratoires
Vagues impressionnantes
Les rapides
Du Cheval blanc
Que le riverain
Ne peut harnacher
Cimetière
Des plaisanciers trop hardis
Des berges courtisées
Les parcs Beauséjour
Rimbault, Stanley
De la Merci, Moulin-du-Rapide
Île-de-la-Visitation
Sous le soleil
Métamorphose
Miroitent et scintillent
Des paillettes d’or
Rêveries
Pour le promeneur solitaire
Au clair de lune
D’un calme olympien
Elle lisse ses eaux
Pour inciter
À la contemplation
Comme des pierres serties
Des îles aux noms évocateurs
Jacques-Bizard, Louis-Bisson
Médéric-Martin, Viau
Pie IX, Le Gardeur
Paton, Charles-de-Gaulle
Dans un lointain passé
Une tragédie
La Back River
Engloutit
Nicolas Viel
Et son protégé, Ahuntsic
La rivière s’épanche
Inlassablement
Reflet d’éternité
André Ledoux
29)
Vous savez,
il y a des hauts
et des bas
dans la vie.
Et les hauts,
des fois,
ont du négatif.
La rivière est belle
quand elle reste
dans son lit.
Mais quand elle se met
à outrepasser le cadre
de ce qui est permis.
Alors elle devient
une menace.
qui dégage une force
Infranchissable!
Quand sa colère éclate
sous l’effet de la chaleur,
elle peut déplacer des montagnes…
ou des maisons!
Elle est tenace, la rivière,
elle s’échappe, s’emporte…
Et s’apaise.
L’ironique affluent.
John Mallette
30) La rivière des Prairies chante (le blues!)
La rivière chante
la mélancolie
des corps célestes.
Des voix fastidieuses
unies et répétitives,
plaintes des nuits tranquilles.
Sifflotement
varié et phonétique,
résonnant
dans les vallées,
et sous les ponts,
la mélodie de la paix.
Bal musette
en pataugeant.
Dans le parcours descendant
Tempo lent.
Sur le podium
aqueux
Berceuse sirupeuse
s’agite dans les pierres
et ruisselle.
Douce fluidité
méandre vers le confluent
à profil régulier
Écoulement,
traînée de solennité,
l’harmonie nous soutient
et finit comme une chanson…
dans le ravissement!
John Mallette
31) La rivière des Prairies
Phénomène de magnificence.
L’onde fugitive se débonde.
Harmonie constante
envoyant le message.
Écoutez attentivement!
La passion incontestable de la Nature,
l’estimable ruissellement… de l’eau,
le liquoreux chemin de notre destinée.
Caractère mélancolique,
tempo fluide.
Promouvoir l’affinité
en fredonnant sa chanson.
Fluctuations!
Vibrations!
Rayons constants
pendant l’écoulement.
La Nature exprimant
sa polarité cosmique.
Nous montrant le chemin
dans un spectacle quotidien.
Mouvement éternel
exaltation continue
comme un battement de cœur.
Cascade d’émotions!
Résonances fréquentes
qui libèrent l’esprit créatif.
Communiant
la supplication… de l’espoir.
Synchronisation dans le chaos.
Harmonie dans l’agitation,
fractionnée aux barrages,
mais toujours… donnant la mesure.
Languissant, pénétrant
le labyrinthe imprévisible.
Furieuse et suave
occupant l’espace et… le temps!
John Mallette
finaliste
32) Le pont en héritage
Haïkus en balade
Sur la rivière des Prairies
Flots de mon enfance
Chaque dimanche matin
En visite chez les cousins
Promenade vers Laval
Souvenirs en cascade
Source d’un passé heureux
Douceurs rémanentes
Sur le pont Pie IX
En amont de gros bouillons
Coup d’œil au barrage
Longe la Rive-Nord
Telle une bouteille à la mer
Famille en cavale
Petites filles modèles
Rires sur la banquette arrière
Comptent les coccinelles
Sur plusieurs années
Les parents ont répété
Maintes mélopées
« Ça n’sera pas long
Il y aura un nouveau pont
Près de la maison »
Histoire de pêcheurs
Comme le vieil homme et la mer
Une longue quête tranquille
Bercé par la vague
Une ode à la vie qui passe
Chante la rivière
Aïeuls vieillissants
Une rivière de diamants
Fêtent leurs noces d’or
Suivant le courant
Les parents s’en sont allés
Sous des eaux dormantes
Pont de la vingt-cinq
En aval coule l’eau vive
Roule leur descendance
Ainsi va la vie.
Les départs ne sont jamais
la fin d’une l’histoire…
Brigitte Meloche
33) Skawanoti fille de l’Outaouais
Je te connais à peine
Je te regarde toujours de là-haut
Je n’ai jamais touché ton eau
Pêché tes poissons
Je n’ai pas exploré tes îlots
Ni sauté tes nombreux rapides
Je veux honorer ta présence, te rendre justice
Te rappeler le temps où tu étais le chemin
Alors je plonge dans ton passé
Avec les castors et les oies sauvages
Je descends dans tes bras l’escalier de tes cascades
Pour glisser avec toi jusque dans le grand fleuve
Skawanoti la féroce, la débordante
Où la caresse des berges ensablées
Je répète ton nom Skawanoti
Pour que l’écho de ma voix
Réveille ton âme endormie
Par les bruits incessants de la ville
Ils furent évincés
Ceux qui bravaient tes flots dans leurs canots
Se nourrissaient et s’abreuvaient de toi
Ils t’aimaient comme une sœur
Te respectaient dans ta force
Ou dans ta sérénité
Les roues de tes moulins ont tourné
Écrasant le grain et le temps
Généreuse, tu as continué de couler
Malgré les trop nombreux ponts et tunnels
Et tes rapides, tes sentiers de portage
Noyés sous les barrages
Comme ceux qui se sont battus
Pour aménager des parcs sur ton parcours
Afin de te conserver un peu d’intégrité
Connaissant la force des mots
Je redis ton nom Skawanoti
La rivière en arrière de l’île
Marguerite Morin
34)
La rivière fuit
Vers le nord
Les branches cassées
Les oiseaux morts
La boue jaune
Qui engloutit
Toute velléité
De fuite
La rivière pleure
Les glaciers perdus
L’huile qui salit
Les plumes des canards
Le chant triste
De l’eau qui
Ne sait plus
Où aller
La rivière gronde
Et je l’entends
Elle en a assez
D’effacer les traces
Des bouteilles cassées
Et de toujours faire
Comme si de rien n’était
La rivière explose
D’un trop-plein de dégoût
Elle se rappelle peut-être
Sa silhouette d’antan
Couchée dans son lit
De sable blond
Chatouillée de poissons
Le ciel comme mirage
La rivière se résigne
Vivante malgré tout
On dira ce qu’on voudra
Elle coule toujours
Envers et contre tout
Et je suis encore là
Marie-Josée Perrier
35) Rivière magique
Il me revient un souvenir agréable de mes premiers contacts avec l’eau de la Rivière l’année de mes sept ans. J’ai appris, je ne saurai dire comment, à pêcher. J’avais une ligne on ne peut plus simple, mais quand même avec un gros bouchon rouge divisé au milieu par une ligne blanche. Quand le poisson mordait, le bouchon s’enfonçait sous l’eau à la diagonale et mon cœur commençait à s’accélérer. Plus il s’enfonçait profondément, plus le poisson était gros. Je le laissais filer un peu, puis je ferrais. Quelle fierté quand au bout de la ligne frétillait un bel achigan ou une truite. C’est moi qui procurerais à la famille le repas du soir. Habituellement, j’en attrapais au moins cinq parce que je savais à quelle heure le poisson mordait, très tôt le matin ou vers la fin de l’après-midi. Je savais aussi la température idéale : juste avant la pluie. Et gare à celui ou à celle qui s’approchait pour me parler. Je savais qu’il ferait fuir le poisson et je n’étais pas très loquace afin qu’il s’éloigne au plus vite. Je restais au même endroit des heures durant, en général près d’un barrage. Je fixais des yeux mon bouchon et ressentais un grand calme tandis que le bruit des chutes m’emplissait les oreilles.
Mon père aussi pêchait, mais différemment de moi. Alors que je pêchais aux vers de terre. Lui pratiquait la pêche à la mouche. Pour lui qui enseignait, l’évasion était différente. Il faisait sauter sa mouche sur l’eau en marchant le long des rives. Il disait qu’il avait besoin de bouger et que cette marche au milieu des champs, tout en taquinant le poisson, le calmait beaucoup. Parfois, il emmenait un de mes frères, mais jamais moi. D’ailleurs, je n’aurais pas aimé. Je préférais la solitude. Puis, je croyais plus à ma façon de pêcher et souvent j’attrapais plus de poissons que lui. Dans ce temps-là, les années cinquante du siècle dernier, on ne parlait pas encore de pollution et les poissons pullulaient.
Pour aller pêcher, je descendais un étroit sentier bordé de hautes haies d’arbustes. Je respirais avec délice des parfums de plantes odoriférantes, et de terre mouillée, et tout cela faisait partie du plaisir de la pêche.
Parfois, je me retirais dans ma chambre située au deuxième étage d’une grande maison en pierres pour essayer de traduire en mots toutes ces sensations enivrantes de mes premiers contacts avec l’élément liquide. Par la fenêtre, je pouvais admirer au fond de la vallée, la rivière qui serpentait au milieu des champs verdoyants.
Avec mon adolescence et l’appel de la ville, j’ai délaissé la compagnie de l’eau et c’est seulement cinquante ans plus tard que, timidement, j’ai repris contact avec elle en achetant un bord de l’eau.
À longueur de journée l’eau s’anime devant moi. Que ce soit la douce brise qui la fasse frissonner tandis que mille étoiles s’allument à sa surface. Ou bien qu’un poisson y fasse un rond en sautant. Ou encore qu’elle devienne une plaine blanche où déambulent de gracieux chevreuils.
Justement l’autre jour je parlais au cellulaire à une amie quand j’aperçois dans l’eau transparente un magnifique poisson — perchaude? — se pavanant devant moi. Là, j’ai réalisé que j’avais perdu la morsure de la pêche. Je l’admirais sans pour autant vouloir à tout prix le sortir de l’eau. Serais-je capable de lui ôter la vie? Il fait partie de mon environnement paradisiaque où les animaux vivent en toute liberté et sont désormais les amis de l’homme. J’avoue qu’il y a un peu d’hypocrisie dans ma façon de vivre puisque je mange souvent du poisson, mais qu’un autre a tué.
J’ai eu la chance de rencontrer Nina Munteanu qui a écrit un gros livre intitulé : Water is.… Elle y parle de l’eau sous toutes les formes et toutes les coutures, au niveau physique et spirituel. D’où l’eau vient-elle? D’autres planètes. D’où venons-nous? De l’eau. Ainsi nous serions tous des extra-terrestres. D’après les nouvelles recherches nous serions en fait constitués de 98 % d’eau et plus nous vieillissons, plus nous avons besoin d’eau, car le vieillissement dessèche les cellules.
Depuis que l’eau scintille devant moi chaque heure du jour je ne me lasse pas de faire son éloge. Elle m’a guérie de mes dépressions à répétition, elle m’a réconciliée avec la vie en me signifiant qu’ici bas tout a été créé à partir d’elle qui provient d’un espace infini. Je suis alors capable d’imaginer ma vie comme une aventure extraordinaire, commencée dans un lointain passé par une simple goutte d’eau.
Jeanine Pioger
36) Rivière
Rivière plus brune que bleue
Toujours, tu seras mon amie
Scène aux consonances rivales
Symphonie de ouaouarons amoureux
Murmure de roseaux caressés par le vent
Pleurs des saules dans la brume des nuits moites
Clapotis des vagues mourantes sur les cailloux échoués
Rivière, sentier liquide sans cesse en marche
Ruban étiré jusqu’aux lointains détours
Chapelet d’anses et de joyaux verdoyants
Mustang rétif ou nonchalant selon les saisons
Rivière, théâtre d’acteurs imprévus
Hérons en chasse, patte suspendue
Canards en ballade, mouvements muets
Hydravions et moteurs, violeurs de silence
Rivière, parfums et vie
Bijou rutilant à la boutonnière du quartier
Je t’aime, mais tu t’en vas
Porteuse de rêves
Avec toi
Je vogue vers l’inconnu
Roland Provencher
finaliste
37) Eau rare
Éternité noyée
L’eau ravive, l’eau déçoit
La terre crispe ses lacets de terre
d’herbe et de bouture l’eau les noie
je bois et broie ce qu’il reste au fond de ma cuve
je patauge presque les pieds mouillés, souillé en mon désespoir
vague à l’âme en ce temps triste je rame la lame au fond
je racle et je râle, cela fait mal aux rives
je pleure une rivière, je vomis le fleuve
J’exaspère la mer
Furie dans l’ombre, l’eau coule furibonde,
Inonde, abondance inutile
Barrage futile, turbine maline
Je ne contrôle plus mon seau d’eau
Je bois et je me renois je me benoit
j’avale l’eau du mal et elle m’emporte en bière
Si l’eau javel silo claire, sir lance l’eau
La bataille ne fait que commencer
1 139 semaines de pluie battante, je me transforme en parapluie
La vie coule sous mes pieds fragiles d’argile
Je ne reste que de boue
Mon corps ne s’anime et déprime et fond
Évacué dans l’égout du monde et dans un dégout immonde
L’eau clapie c’est l’eau rare
La nuit d’or noyé dans les rêves humides, je me ruisselle
Avec mes petits ruisseaux
Fontaine, chute, dépression c’est la grande cascade de la fin du monde au sec.
Benoit Ranger
38) Rivière des Prairies
L’hiver fige nos rives brisées
Ton silence harnache nos peines
Efface tout embryon d’espoir
Où es-tu?
La rivière gelée
Emprisonne ton corps
Otage captif
D’une tempête de neige
Entremêlant ciel terre et rivière
Pour recueillir en son sein
Le linceul de ta tristesse
Hurlant ton incapacité de vivre
Où es-tu?
Par un jour de printemps
Neptune a déposé
Ton personnage ophélien
Sur l’île de la Visitation
En rituel sacré
L’eau bleue a nettoyé
L’enfer de ton destin
Ce retour amniotique
Aux entrailles
a-t-il pacifié
ce labyrinthe terrestre
pour toi
afin que dans l’espace sidéral
l’hymne à la joie t’accompagne
mon frère aimé
Suzanne Saint-Hilaire
finaliste
39) Rivière des Prairies
Parole de rivière
Étendue sur ciel clair
Lune de jour ondoyante
Aux épanchements multiples
Apaisant feux d’âme et dos meurtris
Par où des gens nouveaux
Venus célébrer un vent d’espoir
Dans un oasis fleurdelisé d’une langue mère
Dressée comme mémoire
De la hache aux souches arrachées
Des fiers défricheurs d’un sol d’abondance
Tous les chemins de vitalité
Se sont abreuvés à son cours
Érigeant un rêve de pays à venir
À travers les âges de ses rives
Elle vagabonde parfois endiablée
Toujours généreuse dans sa traversée
Rivière Montréalaise où je suis né
Sur le ponton des ruines
Du Sault-au-Récollet
À l’île de la Visitation
Ont fleuri les mots
De ma poésie
Je la vois aujourd’hui blessée dans son flux
Par l’effarante montée de l’individualisme
Qui sonne le glas sur sa limpidité
Pourtant
Vibrant je demeure
Pour parler en son nom
D’une conscience collective
Qui devrait nous arrimer à son port
Fernand Saint-Onge
40) Hommage à la rivière des Prairies
Aussi loin que je puisse me souvenir, elle a toujours été là, près de moi; ou moi, près d’elle. Parfois en vrai, parfois virtuellement, mais sinon toujours dans un recoin de mes pensées.
J’ai grandi à ses côtés, j’ai joué avec elle, j’ai rêvé en la contemplant, je m’y suis épivardée, l’ai embrassée de milliers de fois.
C’était MA rivière.
Ma rivière des Prairies, mais aussi ma rivière des vallées, des berges, ma rivière des forêts, du grand large, des espaces, du ciel infini.
J’ai tellement aimé la regarder, m’y baigner, m’y tremper les pieds.
Eau vive — source de tous mes jeux d’enfance, de mes joies et de mes plaisirs.
Elle coulait immuable, belle dans son lit de verdure.
On ne questionnait pas en ce temps-là sa présence, parfois discrète, parfois puissante.
Elle était là, hors du temps, c’était notre décor et c’était mon ancrage, presque une façon de vivre.
On la regardait parfois avec les yeux ouverts, et là, on pouvait prendre conscience et mesurer toute la beauté du monde.
Mais souvent, c’était avec les yeux fermés et on ne voyait que surface, vagues et météo.
Toujours est-il que, même moi qui l’aimais tant, je la prenais pour acquise, sans réaliser ce qu’elle était vraiment, ce qu’on lui devait et que malgré sa beauté et sa puissance elle était quand même bien fragile, ma rivière.
Peut-être parce qu’on ne l’estimait pas à sa juste valeur.
Peut-être parce qu’on a tendance, nous, les gens, à ne regarder que la surface.
Je ne comprenais plus à cette époque toute la complexité et l’entrelacement des réseaux hydriques de tous ces cours d’eau du monde qui commencent par des gouttes et finissent dans les océans.
Je ne comprenais pas non plus que certains petits écosystèmes marins puissent être plus fragiles que d’autres devant les coups de boutoir des prédateurs humains.
Et puis au fil des ans et des méandres de ma vie, j’ai connu bien d’autres cours d’eau de toutes sortes, des fleuves, des mers, des îles, des baies, des lacs.
Des rives escarpées et sauvages de la Bretagne du Nord, aux mers chaudes des Caraïbes et aux eaux turquoises de San Andrés, aux plages sans fin des côtes sud-américaines, aux rivages tumultueux des mers du nord, à la beauté infinie des îles de la Méditerranée, à la douceur languissante des plages blondes des côtes asiatiques, à la lourdeur des eaux de la mer Morte, aux sources jaillissantes des geysers de l’Islande, aux eaux calmes et tranquilles des lacs du Québec.
De l’eau, de l’eau j’en ai vu partout, avec toujours le même ébahissement devant sa présence, que ce soit devant le plus minuscule ruisseau qui chante jusqu’aux mers les plus rugissantes.
Eau de vie, ô si essentielle, qui nous fait vivre et vibrer, qui nous fait nous extasier devant la beauté du monde.
Lien qui nous relie tous les uns aux autres sur cette petite planète bleue, si belle et si fragile.
Et puis, au fil du temps, nos pas se mêlent, on avance et on revient, on se retourne, on regarde derrière, on cherche les endroits, on veut les retrouver.
Et souvent malgré tout ce qu’on a vu, ou peut-être justement à cause de tout ce qu’on a vu, on revient aux sources.
Et on retrouve sa rivière à soi. En tout cas, moi j’ai retrouvé la mienne, ma Rivière-des-Prairies.
Celle de mon enfance. Et j’aimerais tant qu’on la chérisse, qu’on la préserve, qu’on la traite avec toute la bienveillance et l’amour qu’elle mérite.
C’est une exhortation que je lance : s’il vous plaît, ne détruisons pas nos rivières. Il en va de la vie, de la beauté, il en va de nous.
France Séguin
41) Calendes riveraines
JANVIER
Une angoisse grise
Enténèbre la banquise
Sommeil sous la bise
FÉVRIER
Marigot tranquille
Traces fraîches du goupil
Neige drue sur l’île
MARS
Glace de dentelle
Le torrent force le gel
Sous la passerelle
AVRIL
Flots émancipés
Un été à rattraper
Joyeuse échappée
MAI
Courant tressautant
Fils du vent et du printemps
Souffle haletant
JUIN
Un banc solitaire
Entre l’eau vive et la terre
Calme sanctuaire
JUILLET
Héron souverain
Sur le marigot serein
Par la nuit étreint
AOÛT
Rive sous-marine
Imposante et clandestine
Tortue serpentine
SEPTEMBRE
Rêve d’estuaire
Châssis d’or à ton parterre
Promesse de mer
OCTOBRE
Rivière de larmes
Tu as bu mes chagrins d’âme
Vaste et noble dame
NOVEMBRE
Branches dépouillées
Bihoreaux s’en sont allés
Rives désolées
DÉCEMBRE
Puissante mouvance
Qu’as-tu pris de mon enfance?
Vieilles souvenances
Marguerite Thébault
finaliste
42) Descendre à la rivière
je descends à la rivière
rêver
à l’ombre d’un saule
une famille de canards
glisse doucement sur l’eau
tout près de la berge
un héron attend
le poisson
qui sera son dîner
des grenouilles
sautillent
en quête de moucherons
une tortue
se prélasse au soleil
sur une grosse pierre
bonheur singulier
d’un après-midi
d’été
Thérèse Tousignant Patenaude
finaliste
43) aimer l’eau
eaux primitives du ventre maternel
flaques où pataugent les enfants
le printemps venu
mares aux grenouilles aux nénufars
ruisseaux des amours romantiques
nourrissant les moulins d’autrefois
à la margelle du puits
remplir des seaux
bassins pour recueillir la pluie
fontaines bains d’oiseaux
cascades vibrantes
de nos jardins d’été
lacs nappes bleues bordées de sable
rivières chemins de canots
fleuves
sur vos bords s’érigent les cités
océans portant sur le dos paquebots
bateaux de pêcheurs navires de toutes sortes
mers tropicales exhibant yachts trimarans
et mille embarcations de plaisance
en vagues offertes aux surfeurs
en promenades pour les pédalos
pour le plaisir de la nage de la baignade
près de rives accueillantes
en trombes dans le tsunami
tout entière dans la goutte de rosée
ruisselante sur le l’échine du travailleur
discrète larme au coin de l’œil
sensible à la température
à la chaleur tu es vapeur au froid tu deviens glace
transformée assainie dessalée purifiée
parfois tu irrigues parfois tu inondes
modeste et magnifique
vie impossible sans toi
formule magique entre toutes
H2O
Thérèse Tousignant Patenaude
44)
glace noire fondant au soleil
défaite de l’hiver
joyeuse la rivière
étale ses bleus ses ors ses argents
en nouvelles cascades
chante
son hymne au printemps
Thérèse Tousignant Patenaude
45)
Les lacis verdâtres sillonnent
les méandres de la rivière.
Imbibé de silence sinueux
Le sable colporte une brume
et imprime à la flore
ce modelé vaporeux.
Lucette Tremblay
46) Je suis la rivière aujourd’hui et je te raconte
Quand je suis près des îles, je suis une rivière tranquille. Ici, on dirait que je me repose toujours. J’aime être en paix. La largeur m’attire. Si j’étais un lac, comme celui que je viens de côtoyer, j’entreverrais l’horizon plus romantique, élégant.
Cependant, moi, j’ai envie de courir et dans ma course distrayante, j’aperçois sur la rive de beaux enfants aux yeux célestes qui rient aux éclats. Ils se baladent équipés de leurs gilets de sauvetage jaunes et orange, en contraste avec l’univers sauvage des alentours.
Un enfant d’environ dix ans s’approche, la casquette à l’envers, la démarche assurée, tellement fier à côté de cet homme exceptionnel, son père. Le bateau est prêt. Je constate qu’il a du plaisir lorsque je le vois sauter dedans, excité.
Il sort le téléphone portable de sa poche pour écrire un message texte : « On part en bateau maman. Je vais bien. »
Une fois le moteur en marche, ils n’entendent plus ma musique, s’en vont à la pêche ensemble. La lumière du soleil perce les nuages omniprésents. Tout à coup, quelques gouttes surprennent les promeneurs et le ciel noirci. C’est l’emprise de l’ombre. Moi, tourmentée, je voudrais tant m’arrêter.
Un cri se perd dans le vent :
— Tiens-toi fort mon gars!
Le téléphone portable tombe à l’eau. Le gamin se penche et tombe aussi. Les bouleaux du rivage sont bien loin. Il est perdu.
Ah, si seulement j’étais un lac, paisible, près d’un parc de la rivière des Prairies!
Aspasia Worlitzky
47)
rivière endormie
l’esturgeon à la brunante
sera épargné
Ruth Bentchétrit
48)
hiver et froidure
le grand pont relie les rives
au-dessus des grandes eaux
Louise Binette
49)
douce rivière
au tremblement de feuilles vertes
clocher silencieux
Muriel Bourget
50)
grand île urbaine
je la vois bien de ma rive
la cité d’été
Joé Chartrand
51)
la Skawanoti —
j’apprends que ma fille vient
de crever ses eaux
Diane Descoteaux
finaliste
52)
La rivière des Prairies
son eau en tumulte
en dénivelé
Alain Gravel
53)
force humaine
dans l’eau vive et rapide
la lumière luit
Danielle Hénault
(à partir d’une photographie d’un barrage hydroélectrique)
54)
arbre aux feuilles rouges
nombreux fils électriques
une volée d’oiseaux
Hélène Lamarre
55)
la rivière coule
et le pont reste immobile
l’herbe pousse drue
Louise LeBlanc
56)
les flots du couchant
stagnent au cœur des doux feuillus
se reflétant sur l’eau
Ginette Lévesque
57)
pont Olivier-Charbonneau
le tumulte du courant
sous le tablier
Cécile Racine
58)
Délire d’eau vive
Hâte folle du printemps
Vers d’amples ailleurs
Marguerite Thébault
59)
soutenu par sa canne
l’homme observe le courant
la montagne en amont
Marie-Johanne Tousignant
finaliste
60)
la coulée Groux
des feuilles rouges voguent
au fil de l’eau
Aspasia Worlitzky
finaliste
Merci à tous les participants!
Merci à tous ceux qui ont pris le temps de faire entendre leurs voix pour la cause des rivières!