Voici les textes qui ont été colligés dans le cadre d’un concours littéraire que j’ai organisé en 2015 dans le cadre de mon projet Écrire les lieux. Ce projet avait été sélectionné par le Comité des Célébrations du 50e pour souligner l’anniversaire de la jeune ville de Laval qui regroupe les anciennes paroisses de l’île Jésus. J’avais inclus dans ce projet un volet participatif ancré dans les divers quartiers de Laval, projet qui se serait déroulé dans les écoles secondaires de Laval et au cégep Montmorency. Les écoles secondaires ayant subi des coupures dans le programme Écrivains à l’école et les professeurs du cégep n’ayant exprimé aucun intérêt à faire participer leurs élèves à mon projet, j’ai créé d’autres activités participatives, dont ce concours.
Écrire les lieux de Laval, c’est aussi écrire ses rivières, sa faune, ses espaces verts. À un moment où le maire de Laval, Marc Demers, prenait publiquement position contre le passage d’oléoducs sous le lit des rivières bordant Laval, une action amenant une mise en valeur de la rivière des Mille-Îles m’a semblé particulièrement pertinente. Prendre la parole poétiquement, c’est refuser d’être réduit à l’impuissance. Que ce soit sous forme de poème chantant la beauté de la Rivière-des-Mille-Îles, d’anecdotes se rapportant à son histoire, de lettres ouvertes ou de manifestes, ces textes témoignent de l’émerveillement, de l’attachement ou des inquiétudes de leurs auteur(e)s concernant la Rivière-des-Mille-Îles et se portent à la défense de celle-ci par un acte de création.
Je remercie mes partenaires, le Parc de la Rivière-des-Mille-Îles, Coalition Eau Secours! et CIEau Laval, RAPPEL : Parole-Création (Regroupement des auteurs professionnels, publics et émergents lavallois), mes commanditaires, Célébrations du 50e de Laval, Garage Landry de Laval, Librairie Carcajou de Rosemère et Librairie Monet de Montréal ainsi que le jury, Caroline Scott, libraire, Jeremy Laniel, libraire et Martine Châtelain, présidente de Coalition Eau-Secours!
Merci à tous ceux et celles qui ont participé et bonne lecture à vous!
Nancy R Lange
Voici donc les textes…
1)
Autour de la Mille-Îles
Commencer par l’eau, c’est se mettre la vie dans les yeux. Parcelles de terre, parcelles de ciel. Mouvements et permanence. La rivière. Paresse qui sourit, elle défile devant des maisons en jaquette blanche. Le vent joue de la branche vide. Les phragmites s’agitent comme la tête des spectateurs d’un concert rock. Les vinaigriers ont allumé des briquets.
Sépia des récentes pluies, sur ses berges, en haie d’honneur, des arbres et des résidences se dressent sur son parcours. Mais l’eau elle-même semble absente de son propre défilé. Artère sombre, offrant ses globules blancs de mousse au vent qui la frôle, amant à fleur de peau, elle coule, frontière mouvante de la ville.
Pour une rivière, le laisser-aller est un devoir. Parfois sablier d’eau ou miroir mobile aux images fixes, mais aussi en mille éclats, elle se laisse furtivement apercevoir derrière le paravent des bosquets riverains. Un immense vitrail plombé de vert.
Elle affiche, certains jours, un air de Loire sale. L’eau est une soupe et les rives de longs désespoirs tachés. Lourde, elle déménage vers le Fleuve ses biens meubles. Souvent, à l’été des soleils de juillet, elle s’exténue. Alors, ses berges l’ayant bue exultent, vertes.
Les pelouses pavoisent, les arbres se déploient. Pendant qu’autour d’elle tout est vivacité et force prête à éclater, l’eau, cadavre de pierre, traîne ses os. Alors, le fond est autant de roches que de goélands. Et si, au nord, la pluie tarde encore à tomber, la rivière elle-même sera bientôt en cale sèche. En quelques lieux plus solennels, elle coule comme un défilé. Devant elle, l’estrade des quais. La voici, miroir posé sur un volume neuf offert par les ruisseaux. Si ce n’était des feuilles traînées par la surface, elle passerait pour un lac.
L’autre jour, à l’Île-des-Moulins, j’ai souri à deux dames qui surveillaient quatre outardes avec une irréprochable attention. Comme si c’était leurs enfants qui jouaient dans la rivière. Si une fine pluie la pique, je m’amuse à distinguer des autres les cercles qui ondoient simultanément. L’enfance est si facile d’accès dehors.
Claude Drouin
Ambassadeur de la Rivière-des-Mille-Îles
2)
La rivière des Mille-Îles
Au chapelet des Mille-Îles, la rivière coule à peine sous mon regard ému. Entre chien et loup, je coule en elle; tout est repos, c’est toi qu’elle me rappelle. Île solitaire, dans une mer de monde, pareille aux autres, qu’on remarque sans s’arrêter. Île mystère aux abords indomptés, récifs chimères, grèves écueils laissent croire l’inaccessible.
La nuit sera sereine. Dormir, dormir… demain la rivière va bondir… va bondir.
Frémissante, elle égrène ses îles, la rivière mauve file un mauvais courant.
Tu t’éloignes de moi sans dire un mot. Île secrète, à l’écart des complicités, tes rives sont des rêves de chasse au trésor. Tu ouvres des passages pour offrir ta richesse, et tu te couvres de broussailles jusqu’à t’en égratigner la peau.
Dormir, dormir… demain sera moins pire… moins pire.
Tombant du jour, la rivière s’esbroufe sur des dizaines et dizaines d’îles ténébreuses. Le soir a mal au dos, porte le poids des heures. Île silence, pleine d’écoute, n’attire pas l’attention, à croire que tu n’as rien à dire. Dans un coin de veille, tu mets au monde la paix des chandelles. Île inconnue, tu veilles seule dans tes châteaux de frissons et de doutes.
Dormir, dormir… demain sera beau. Elle va rugir… va rugir.
La rivière chargée de peines coule au large qui l’avale. Coule avec elle, île muette. Tu me quittes sans dire un mot, mon cœur meurt. Ton nom se perd sans aucun écho. Laisse échapper ton cri à tue-tête. Tu rêves de chanter des arias d’opéra d’une voix douce et puissante à faire trembler la terre; tu chantonnes en attendant des airs que tu inventes.
Dormir, dormir… demain va revenir… va revenir.
La rivière sombre au loin au fleuve qui l’accueille. Couche avec elle, âme fidèle. Île amie, île de rien, île… îles… rosaire de mes errances, je vous envoie la main. Mourir m’arrive quand sur l’onde un infini regret s’en va. S’en va le jour, et toi que j’aime, que j’aime.
Dormir, dormir… demain sera… Et moi qui aime… qui aime.
Yves Allaire
3)
Toute cette eau
Toute cette eau!
Y nager où elle me porte
jusqu’à l’épuisement!
Toute cette eau!
Y plonger jusqu’à m’y perdre!
M’y couler,
en explorer les magiques grottes,
féériques stalactites et stalagmites!
M’y engouffrer,
en toucher le fond,
en découvrir les abîmes, les abysses,
puis…
En remonter lentement,
en émerger, m’en dégager
triomphalement!
M’élever dans l’air limpide.
Contempler ma planète
pour peu de temps encor
bleue et verte.
Percevoir l’éruption de ses volcans.
Traverser l’atmosphère,
la troposphère, la stratosphère, la mésosphère,
la thermosphère, l’exosphère, la magnétosphère.
Toujours plus haut! Toujours plus vite,
dans une éblouissante assomption!
Croiser au passage des arcs-en-ciel,
des aurores boréales,
des étoiles.
Toucher le paroxysme
de l’enchantement!
Franchir le mur du son,
en ouïr le bruit de tonnerre.
Mourir!
Atteindre l’envers des choses!
Résoudre quelques énigmes…
M’évaporer, disparaître,
puis…
Ressusciter, renaître,
recommencer,
mieux…
Gisèle Bart
4)
Au fil de l’eau, la modestie
Me voilà perché sur mon écueil admirant cette rivière pérenne. Et toujours cette vieille maison, là, en briques rouges, intrigante. Le meuglant ouaouaron, commère avant tout, m’a dit que des hommes et des femmes y logent pour y reprendre une vie nouvelle. Ces gens-là me ressemblent un peu, moi aussi chaque printemps revenu, je suis heureux de retrouver mon repère, ce haut clocher d’argent, et d’entreprendre une nouvelle saison.
Il est facile de voir que je ne suis pas une grue ou une aigrette, ou encore un héron vert, non, nul oiseau de ma famille ne peut égaler ma majesté. Je suis de taille fière avec des pattes longues et fines, mon bec chasse avec avantage, mon vol est d’une grande élégance, bref, j’attire le regard, on m’admire à Sainte-Rose et moi, je suis heureux ici.
Ah! devant la maison d’accueil, près de la rive, une jeune femme avance, j’entends… elle pleure? Que puis-je faire? Commencer à cacarder? Voler pour la distraire? Voilà ma chance. Je m’élance. En vue, un bosquet d’iris! Avec mon long bec, je ramasse une gerbe et reviens en vitesse laisser tomber les fleurs aux pieds de la belle. Je reprends ma place et j’écoute. Ah! merci, mon Dieu, elle ne pleurait pas… elle chantait…
Que la vie est belle ici pour un grand héron comme moi.
Marie Beaulieu
5)
Lettre à ma fille
Source de vie
Chère Elisa,
L’annonce récente du déversement de milliers de tonnes d’eaux usées dans les cours d’eau canadiens me plonge dans un état de révolte ou presque. Survivrons-nous à pareilles catastrophes répétées? Qu’adviendra-t-il de cette source de vie?
eau rafraîchissante
eau désaltérante
transparente limpide oxygénée
fontaine, geyser, cascade
Sensation d’eau vive et pure
dormante, stagnante, usées
eaux ménagères, eaux d’égout,
eaux boueuses, vaseuses,
bactérie, microbe, évaporation
mort à prévoir?
indifférence…
Chérie, tu me pardonneras cette échappée poétique. Mais est-ce que tu sais qu’en 1884, Charles Chamberland, physicien français travaillant dans le laboratoire de Pasteur, fut le concepteur d’une bougie de porcelaine poreuse capable de retenir les micro-organismes présents dans l’eau? Grâce à cette grande découverte, l’eau devint potable. Aujourd’hui, 131 ans plus tard, dans les usines de filtration, on utilise l’ozone et le chlore surtout pour filtrer l’eau du robinet.
Mais quand il s’agit de l’eau de nos lacs, de nos rivières, de nos fleuves, pourra-t-on contenir le flux grandissant de résidus qui s’y accumulent? L’inconscience, la négligence et l’insouciance de nos dirigeants telles que présentées dans l’actualité ces jours-ci a de quoi révolter.
À Paris, en novembre prochain se tiendra une conférence entraînant un accord universel sur la protection de l’air. Alors, à quand pareille rencontre sur la protection de l’eau, tout aussi essentielle à la vie?
Voilà chère fille ce que ma pensée voulait te transmettre en cette fête de l’Action de grâce. Il faut remercier la vie pour ce qu’elle nous donne, et la protéger sous toutes ses formes afin de la conserver.
Moi, tu le sais depuis longtemps, je remercie la vie de t’avoir, toi, et ta grande capacité d’écoute.
Je t’aime,
Maman
Marie Beaulieu
6)
Le dit des Mille-Îles
Mille-Îles
et mille jours
à se promener en barque
entre des rives ombragées
en contournant un rocher
qui fait le gros dos
à entendre le vent siffler
dans les roseaux
qui s’en balancent
à regarder les érables
orgueilleux de leurs couleurs
et les fleurs
qui veulent encore
chanter l’été
à s’amuser des canetons
qui suivent leur mère
en file indienne
à admirer le héron
qui marche avec dignité
et oublie un instant son reflet
en s’envolant
à attendre près du pont
qui franchit la rivière
en quelques bonds
que le soleil couchant
mette le feu au paysage
et quand le soir a éteint
l’incendie
rentrer à la maison
Mille-Îles
et mille nuits
à dormir
auprès de l’eau paisible
bercé par le concert
des ouaouarons.
Françoise Belu
7)
Eau
Toi, larme de la terre qui sait étancher la soif des arbres et celle des oiseaux.
Toi, qui berces les bateaux et qui t’amuses à mouiller les cailloux.
Toi, goutte de survie, qui peut redonner la vie ou être simple pluie.
Toi, qui t’agglutines pour devenir géante et arrogante.
Toi, qui dans une simple danse peux devenir tellement craquante.
Toi, qui mélangée à la mie fais que je suis nourrie.
Toi, qui laves les joues et baignes les animaux.
Mais toi, aussi la douce et la calmante, toi, oui toi, que ferions-nous sans toi?
Tu es l’eau de ma vie, j’ai besoin de toi et je te remercie.
Suzanne Benoît
8)
La rivière des Mille-Îles m’inspire
C’est la rivière de mon adolescence
Avec son flot majestueux
Elle m’inspire la douceur
C’est la rivière avec ses nombreuses îles
Que je découvre tranquillement en chaloupe
Elle m’inspire la paix
C’est la rivière avec sa beauté
De mes secrètes confidences
Elle m’inspire la transparence
C’est l’immense rivière
Témoin de mon mariage
Elle m’inspire la joie
C’est la rivière avec sa faune
De mes promenades silencieuses
Elle m’inspire à la nature
C’est la rivière agitée et bleue
Que mes tout-petits admirent
Elle m’inspire la complicité
C’est la rivière avec son histoire
Que je découvre en vieillissant
Elle m’inspire la belle vie
C’est ma rivière à moi
Que j’aime depuis longtemps
Elle m’inspire pleinement encore
C’est ma rivière, c’est mon coup de cœur
Qui vit en moi depuis toujours
Elle m’inspire l’éternel souvenir
D’y revenir souvent
Ginette Bernard St-Pierre (Fleur de mer)
9)
La rivière des Mille-Îles
De l’aube au crépuscule, toujours pressés
Les gens passent à vive allure, préoccupés
Sans même regarder leur jolie rivière
Elle est si profonde sa réserve d’Histoire!
Elle a souvenance d’un temps de malheur
Où l’on polluait ses eaux sans pudeur
Aujourd’hui elle rêve d’un vrai renouveau
Espérant que les gens puissent à nouveau
Se mirer dans la clarté de son cours
Cette reine désire se refaire une cour
Qu’elle ait son jour de fête au printemps
Les citadins reviendront en chantant
Célébrer sa majesté retrouvée
… seront lavées les erreurs du passé.
Si l’on écoute enfin ce qu’elle nous dit
Elle nous réserve de grandes leçons de vie!
Monique Bérubé
10)
La rivière des Mille-Îles
Unique frontière du nord de Laval
la rivière des Mille-Îles
l’a échappé belle en 1637 quand au début de la colonie
dans les chroniques de ses découvertes
Jean Nicolet l’aventurier canotant
a trouvé mauvais pays inondé de nombreuses îles
des centaines il écrit couvertes de sapinage touffu.
Prenant source à la rivière des Outaouais
contourne L’Île-Bizard
serpente dans son lit de verdoiement
ou fige dans la froidure
sous douze ponts et traverses
cinquante kilomètres ruban d’argent
abreuvant villes et villages
pêche à la ligne sur la glace motoneige
devant la maison de Raphaël
au quai ou à gué, en été
cuillères, leurres, appâts vivants
achigan, brochet, maskinongé, doré, perchaude, barbue
espèces d’eau douce
moule zébrée en vue prenons garde
rapides, marécages, bois mort, nénufars
navigation de plaisance marina Bobino
canotage, kayak, rabaska, chaloupe, pédalo
à voile, à rame à moteur malheur
froufrou des avirons mènent au fleuve en aval.
En vue aérienne, quel spectacle
chapelet d’affluents, ruisseaux et rus
biodiversité variée, flore et faune
plaisir pour les sens des petits et grands
incomparable paysage de bayous méandres serpentins
symphonie de chants d’oiseaux
cri du héron au grand cou et bruant des marais
quiétude des canards paradis marin
labyrinthe de verdure fleurs sauvages en touches de couleur
quand la rivière est gelée, foin des horizons
la rivière des Mille-Îles, écosystèmes à protéger
collier de diamants à l’encolure des riverains
Marcelle Bisaillon
11)
Vos rives souveraines
Mille rives en îles
En dérives de rêves
Vos méandres fleuris
Iront sur vos berges
Avec fierté se promener
En des plaisirs folâtres
À la fête foraine
Des herbes de joncs
Et des têtards enjoués
Elles foisonneront
En chaudes couleurs estivales
Qui se feront la cour
À l’automne venu
Et tisseront des liens forts
Entre les riverains solidaires
Devant tant de majesté
Se transformant par magie
En de magnifiques ombrages
Où il fait bon se reposer
Mes souvenirs de liberté
Symboliseront vos eaux
Où j’y ai vécu en canot
Au coucher d’un soleil d’été
Les aventures rocambolesques
D’un explorateur nouveau genre
Où sous les flots ballotés
J’y ai vu
Fourmiller mille vies
Entre les roches cachées usées
Par le temps en défis
Et des poissons oubliés
Des regards amusés
Longtemps encore
J’y ferai honneur
Et d’étonnantes sensations
Dans mon cœur d’enfant
S’émerveilleront à la pensée
De tant de vos beautés sauvages.
©Raynald Boucher 25 février 2015
12)
Jourdain des îles
Entre deux montagnes
du lac qui te nourrit
tes eaux sont d’ici
comme d’ailleurs
goutte à goutte
les unes contre les autres
voyageuses entre ciel et terre
tantôt brume, tantôt écume
parfois flocon, parfois glacier
nervure de vie
bruine des fleurs
nourricière de la terre
cosmos marin
tu embellis mille et une îles
du haut de mes ponts
au temps des eaux troubles
j’entends crier
l’eau secours
sur les berges de ton avenir
des hommes et des femmes
marchent sur tes eaux
glissent sur ta peau
les amitiés tissent
un torrent d’argent
des marais d’insouciance
envahissant les ravins et les fossés d’indifférence
transportée mile après mile
tu te déposes amoureusement
vers les pays lointains.
Michel Bouvrette
21 novembre 2015
13)
La rivière des Mille-Îles m’inspire
Coule, coule et déverse ta candeur.
Sans dévier de ta trajectoire trop souvent empruntée.
Mille fois tu redessines le contour de tes îles.
Tu trouves réconfort sous les quais endormis.
Coule, coule et déverse ta fureur.
Celle de vivre en harmonie avec ton entourage.
Mille fois tu revendiques la richesse de ta présence.
N’ont-ils pas compris l’urgence de ta demande?
Coule, coule et déverse ta beauté.
Dentelle d’écume, séductrice au cœur pur.
Mille fois tu souhaites attendrir ton prochain.
Comme une promesse sans cesse renouvelée.
Coule, coule et déverse ta bonté.
Fais chavirer nos pensées qui assèchent les tiennes.
Mille fois tu dois dompter notre nature imparfaite.
Lorsque tu deviendras sable, il sera trop tard.
Coule, coule et déverse ta quiétude.
La rumeur de ton passage éclabousse nos esprits.
Cette fois, le flot de tes paroles atteint le rivage.
Un vent nouveau gonfle les voiles de ton navire.
Anne-Marie Braün
14)
Le colvert
Quand je suis un colvert, et que vous m’apercevez près de la Plage Idéale, soyez assurés que le printemps s’est installé. Les glaces ont fondu, la rivière coule de nouveau. Les oiseaux remplissent les silences avec leurs gazouillis, signe que la vie renaît. On entend déjà le bruit des bateaux. Bientôt, le cri des enfants courant au bord de la plage retentira. Moi et ma douce batifolons sans nous soucier des regards indiscrets. Le temps des amours nous rapproche. Nos ébats nous laissent pantois. Au creux d’un buisson, juin nous surprend près de la rive, à faire le relais pour réchauffer nos œufs, bien à l’abri dans notre petit nid. Juillet nous apprend à être parents. Après un été rempli, nous aimerions partir en vacances vers les mers du Sud en suivant le vol des outardes, mais le destin en a décidé autrement. Ainsi va la vie.
Louise Bruneau
15)
Vagues
Rivières, veines de la Terre, se coulant en l’océan.
Comme mes propres veines coulent en l’océan toujours plus grand.
Quand je bois l’eau du robinet, c’est moi-même que je bois.
Je suis venu de cela : nous en sommes tous venus, avec la première amibe
qui rampa humide sur terre, le premier crustacé
qui détala sur le sable.
Œuf flottant dans le liquide amniotique
entouré du son battant d’un cœur de mère.
Bientôt, je m’effondrerai en une flaque de pluie
Rivières, veines de la Terre, se coulant en l’océan.
Brian Campbell
(Traduction Nancy R. Lange)
Waves
Rivers, veins of the Earth, flowing into sea.
As my own veins flow into ever-larger ocean.
When I drink water from the tap, I am drinking me.
I came from this: we all did, with the first amoeba
that slithered wetly onto land, the first crustacean
that scuttled over sand.
Egg floating in placental fluid
surround-sound of mother’s pounding heart.
Soon I will collapse into a rain puddle.
Rivers, veins of Earth, flowing into sea.
16)
Nos valeurs, nos cours d’eau
Est-ce que nous allons tout salir
laisser salir nos cours d’eau sans rien dire
pris en otage par un système
créateur de misères en chaîne,
opportuniste au bénéfice de qui, de quoi
pour un court terme qui ignore la durée
et les droits de notre descendance
Comme les Amérindiens avaient raison
se servant avec mesure selon leurs besoins
et la continuité du règne vivant!
Revenons aux vraies valeurs en toute conscience,
à la beauté, à la bonté, à la solidarité
tant qu’il en est encore temps et sans retard
En cela je demeure optimiste pour l’avenir
Au Canada, au Québec, à Laval
nous sommes privilégiés, eau en abondance
fleuve, lacs et rivière, sources du haut de nos monts
pluie, fonte de la neige, peu d’inondations
en comparaison d’autres coins du globe
soyons-en reconnaissants, admiratifs
et protecteurs de cette ressource qui n’a pas de prix
NOTRE APANAGE SI FRAGILE
Gaelle Claessens
17)
Réminiscence
Mon ami, imagine un paradis quasi secret, niché au coin de mon quartier. C’est l’ancienne Plage Idéale, la plage si bien nommée.
Tu me vois traverser un boisé si dense qu’on croirait les arbres enlacés. Les sentiers bruissants de vie m’amènent à la berge, où j’aime me reposer.
C’est là que doucement, très doucement, j’étale mon âme, telle une nappe festive. Du bout des doigts, j’y pose un nuage effiloché, le sillage d’un canot rempli de songes, et un tout petit coin de l’île d’en face qui trempe dans la rivière.
Comme une volée d’oiseaux, voici qu’arrivent des souvenirs : ma main d’enfant dans celle de mon père, la nage confiante dans ses bras, la leçon d’abandon et la plénitude du silence…
Mais je dois partir… Mon âme se replie en baluchon heureux d’où je puiserai, au fil du temps, quelques brins d’amour pour parer ma journée.
Monique Cloutier
18)
La raison des mille immortels
Elle est tellement vaste qu’elle arrive à recouvrir une planète entière. Elle porte une jolie fioriture bleue ou noire. Dans son firmament, de nombreux vaisseaux blancs traversent. Il arrive des fois que les habitants de ces vaisseaux soient tristes. Parfois, certains d’entre eux décident de peinturer leurs vaisseaux d’un gris pâle.
Il est ferme. Il ondule telles ses humeurs. Des fois, il est rocailleux. Il contient une multitude proche de l’infini de toutes sortes d’habitants variables et imaginables. Ses nombreux gardiens, fiers et hauts, veillent sur son royaume. Ses princes s’imposent de façon qu’il soit impossible de les ignorer, tellement grands et vertigineux sont-ils.
C’était un jour d’automne où le froid et le chaud se livraient une bataille certaine… ils s’adressèrent enfin la parole! De fil en aiguille, et après un nombre impressionnant de conversations, ils tombèrent amoureux l’un de l’autre!
Leur idylle porta fruit : elle était enceinte!
Ce fut un jour heureux lorsque l’enfant fut introduit dans le monde. Par contre, nul ne pouvait s’empêcher de remarquer ses allures bizarres : il était autant vaste que sa mère, tout en étant visqueux, large et profond. Contrairement à son père, il était flexible et immuable. Lui aussi avait ses habitants, qui nageaient en toute joie dans son sein.
Par contre, l’enfant déclara très vite son indépendance, au plus grand dam de celle qui l’a mis au monde. Il prit tellement de place que ses parents s’en accaparaient plus que de la moitié de leur temps! Sa mère pleura sans cesse… mais ceci ne l’atteignait pas. Son père envoya ses messagers ailés… malheureusement sans succès.
Pendant longtemps, l’enfant était seul et triste. Heureusement, au gré du temps, il se lia d’amitié avec deux lopins de terre, qui étaient aussi, envers et contre tous, des amoureux. Ceux-ci disaient faire partie d’un bout de la Terre qui se dénommait « le Québec ».
Un jour, il décida de se faufiler entre les deux, question de leur jouer un tour! En riposte, ses amis jetèrent ses mille enfants sur lui!
Et c’est pourquoi cette rivière s’appelle la rivière des Mille-Îles.
Richard Crevier
21 novembre 2015
19)
L’eau et l’amour de l’humanité
Qu’elle est belle notre planète bleue vue d’en haut, belle et impressionnante. Une boule bien ronde où se mêlent inlassablement les mouvements mousseux des eaux salées, mers et océans, le jaillissement des sources et la fonte des glaces, l’écoulement des ruisseaux, les ondes des rivières, les flots des fleuves ainsi que le grondement des chutes et torrents.
Quand une source jaillit, l’homme sourit. Quand il a soif, il s’en abreuve. Quand elle tarit, il dépérit.
Dès le petit matin, avec l’eau des ruisseaux et rivières, il arrose ses plantations, donne à boire à ses bêtes.
Ses sens sont troublés par les douces bruines matinales et une joie profonde l’envahit lorsqu’il la fait ruisseler tout le long de son corps frémissant.
Lorsque ses enfants ont chaud, il les emmène se rafraîchir sur les berges avoisinantes.
Durant l’été la mer et ses plages font la fête à toute la famille.
L’hiver, de magnifiques cristaux étoilés voltigent dans le ciel, puis se déposent mollement sur les sols en une épaisse toison immaculée faisant le bonheur des amoureux des pistes glissantes.
En temps de guerre, comme en temps de paix, il affronte mers et océans à la recherche de nouveautés pour parfaire l’humanité.
Cependant, les utilisations de cette eau ne sont pas toujours sans conséquence nuisible aux terres, aux mers, à la flore et à la faune. Et ce même homme, dans la frénésie de son développement, y déverse tout ce qui est sale, gênant, inutile ou à éliminer.
Ô! Homme, tu fais la course au progrès. C’est légitime, ton cerveau te le permet.
Mais, prend garde à toi, à tes acquis, cette eau qui t’a tant donné et te donne encore, que tu as domptée tant et tant de fois, est bien plus rebelle que celle qui partage ta vie depuis la création.
Son amour pour toi est grand et généreux. Mais elle ne saurait supporter que tu l’utilises à tort et à travers, en dépit du bons sens. Lorsqu’elle sera lassée des misères que tu lui fais subir, elle est fort capable de t’enfouir en ses fins fonds pour l’éternité.
Abla Dib
20)
EAU
E
tendue essence-ciel a mille et un visages. Mince filet qui serpente le paysage, se gonfle en rivière devenant bientôt fleuve majestueux poursuivant sa course vers la mer uni vers celle qui porte l’embryon de toute vie en elle. Tel est ta grandeur, ton unicité.
A
L’aube et au couchant, vers toi j’accours tel l’enfant qui revient inlassablement vers sa mère, pour être apaisé et admirer, les yeux plein de lumière, les milliards de diamants dansant sur tes flots. Je t’aime toi l’ami.
U
nique ais-je dit? Essentiel, universelle dis-je encore. J’ai pourtant la mort dans l’âme depuis qu’une compagnie, qui infecte l’air de sa présence, s’arroge des droits sur toi, comme les papetières d’autrefois.
E
njeu lourd de conséquence. Je n’ai d’autre choix, devant ce scandale sans nom, méprisant la vie, que de dire mon indignation et exiger un devoir de protection.
A
cette compagnie qui ose usurper ainsi le bien collectif, te condamnant à porter en ton sein, son poison mortel, je demande réparation pour tant de pollution.
U
n seul cours d’eau, qu’ils se nomment sources, ruisseaux, étangs, rivières, lacs, fleuves, mer, océan, mérite tout mon respect et le vôtre aussi mais vous semblez l’ignorer.
L’E
A
U, je vous le dis bien humblement, vous ne seriez rien sans elle.
Nicole Faucher
21)
La voix de la rivière
Ses eaux viennent lécher mes pieds
car elle veut m’amadouer
me bercer de sa mémoire
me rappeler le lent chemin de son désir
qui, à force de caresses,
a séduit la terre
l’a ensemencée de toute vie
Telle une aïeule, elle me murmure des légendes
que le vent transporte en vagues frissonnantes
histoires si anciennes
que seuls quelques contes en parlent encore
Elle berce les larmes versées en secret
et porte en écho des rires d’enfants
qui s’éclaboussent dans la chaleur des étés
Elle vole des couleurs à l’aube furtive
alors que de vieux pêcheurs
ramènent plus de philosophie
que de poissons rendus méfiants
par les rumeurs circulant entre les algues placides
Elle se prête à l’humeur changeante des poètes
pare ses îles d’infinies nuances
que le peintre cherche à capturer
au gré des caprices du temps
et inspire aux amants exaltés
des promesses d’éternité
Sa voix originelle résonne dans mes veines
jusqu’en mes moindres racines
qui s’abreuvent de son offrande
pour me prolonger vers de possibles lendemains
Nos sorts sont mêlés depuis le commencement
et nos sangs en un pacte sacré
Et si, pauvres déments,
ivres d’inconscience,
nous signons son arrêt de mort
nous ne pourrons y survivre
que le temps d’un remords
pendant que,
privés d’essentielle beauté,
sur ses rivages désolés
rouleront nos rêves avortés
Anna-Louise Fontaine
Novembre 2015
22)
Mille-Îles : une rivière, une terre
Aux océans les géants et les cornes de brume, aux étangs les fées qui le soir s’allument
À la rivière, ses mille îles qui défilent une à une, nous attachent au proche lointain, au soleil, à la lune
Un seul soleil au détour des courants saphir, la terre modelée, sertie de mille joyaux étincelants
Une seule lune au détour des courants zéphyrs, la grève martelée, ouvrée de mille galets scintillants
Ses mille îles la retiennent en son berceau, mille moutons la réveillent et lient ses arceaux
Mille plumages douillets transportent son eau d’île en île, de pli en pli,
Mille anges, ailes déployées, se marient à ses voilages la nuit
Au matin, des voilures fièrement tendues touchent les cieux aux jours de voyage,
Mille chants de petites sirènes sur les rochers : « Faut éviter le naufrage! »
Et ce grand gouffre, d’où personne ne revient, crevé de mille remous, nous rappelle combien le temps ride nos joues,
nous ancre dans nos encres et nous fait pleurer mille chagrins, couchés sur le sable froid et granuleux où s’agrippent nos mains
Le sable coule de nos deux poings serrés, l’eau s’écoule du creuset de nos mains ouvertes
À quoi bon retenir le temps pour soi, et c’est là toute la beauté : La liberté pour une terre bien partagée et bien verte!
Sur son sable, son eau bénissant l’intemporel, sur sa rive, l’arbre trempe ses rameaux sanctifiant l’enfant du vent rebelle
Mais, il y a le Décret : tout le monde le sait! Face à soi la guerre, ou encore bien mieux la Paix
On dit « se ressembler comme deux gouttes d’eau », mais moi, cette fois-ci, je dis non à ce maître-mot
Si chaque flocon de neige est unique, chaque goutte d’eau l’est tout autant, même dans un seau
Des gouttes magiques à garder contre son cœur, de peur que la terre ne meure,
Enfiler une à une les perles de la survie de la Race au fil de l’eau, au collier des heures
Cornes de brume et géants, fées qui s’allument aux tréfonds du firmament, magie qui emmiroite les étangs?
Qui ne croit pas aux fées tombe dans le Néant!
Que nous révèlent l’océan, l’étang et la rivière?
Moi, je dis : « Moins de deux, en moins de deux! » C’est le seuil pour la survie de notre Terre-Mère
Respect aux mille géants, aux mille fées! Que l’Humain prenne exemple,
Respect aux mille rivières! Sans eau, ne trouveront jamais d’autres berceaux, d’autres temples.
Et toi, aime ta rivière au-delà des Mille-Îles et de la raison, des plus beaux rêves et des saisons,
C’est là que l’au-delà aura raison : une eau qui goûte le ciel, une vie qui goûte le miel, une fleur et une chanson, les semailles et les moissons…
Toutes les moissons! Moissons de neige et tours de manège, mille rires déboulant en arpège,
Mille boules de neige empilées au froid matin dans un fort de glace posté au carrefour du destin
Son cœur déverse sa lumière, et dans son cœur, un Enfant-Reconnaissance, confiant et heureux de ne jamais flouer la rivière
Mais, attention l’enfant, la rivière n’est pas sans danger, le couvre-feu tu dois respecter!
Et toi, rivière des mille cœurs, rivière des Mille-Îles, pour encore longtemps t’aimer, protéger l’Enfant-Renaissance que tu es, encore faudra-t-il!
Enfant-Reconnaissance teste ton cœur sans amertume, Enfant-Renaissance, la Balance et la Plume :
La rivière est un faux-mirage si floué, mais une vérité limpide si ton cœur inspiré
Là seulement, on pourra tous ensemble se tenir debout sur le bateau de la vie, certains que tu continueras la survie,
Et à nous bercer, nous émouvoir jusqu’aux larmes, jusqu’aux océans…
Aux océans ses géants et ses cornes de brume… Aux Mille-Îles, ses Enfants, la Balance et la Plume!
Dominique Hamel
23)
La langue de la mer
veine des débuts du monde
humble calme sereine
embryon de fougue
juvénile impétueuse
caresse mes flancs
sculpte mes visages
nourris mon maintenant
source mes demains
trace le passage
noie le doute
généreuse origine du monde
mon souffle chante ton sein
ton parfum de cristal m’habite entier
belle autant que meurtrière
je n’ai vie sans ta grâce translucide
je n’ai conscience sans la mémoire de tes millénaires
de là où je te contemple tu m’enivres
du cosmos tu es joyau
à tes pieds naissent des royaumes éphémères
que tu maternes sage et bienveillante
sur ta peau se mirent les étoiles
tandis que le souffle de l’air poule ta chair
tu sais le silence de l’eau
mais tu parles la langue de la mer
©Robert Hamel
Novembre 2015
24)
Une voix pour la rivière
J’ai été très fière, récemment, de joindre ma voix à celles de personnes qui ont à cœur l’avenir de nos rivières lors d’une manifestation poétique pour protéger les rivières. On retrouvait dans ce groupe beaucoup d’adultes et très peu d’enfants. Si j’ai une explication à ce phénomène, c’est qu’il en a toujours été ainsi : les adultes ayant vécu différentes époques savent comment elles changent à coup de nouvelles influences et la jeunesse ayant très peu d’expérience ne comprend pas encore à quel point la vie passe trop vite. Enfant, notre rêve est de grandir le plus vite possible et lorsque nous sommes grands, notre rêve est de rester jeunes le plus longtemps possible. La vie nous semble indestructible et à la fin, elle nous semble fragile.
Il en est ainsi pour la rivière : sous mes yeux, elle est belle et forte et sage, mais sous les yeux de mes ancêtres, elle n’est plus l’ombre de ce qu’elle était avant. Nous, les jeunes, croyons que nous avons une chance incommensurable de vivre au Québec, dans un pays plein de vitalité avec des forêts multicolores en automne et des hivers enneigés. Mais les anciens savent qu’auparavant, on ne se contentait pas que de ce que nous avons aujourd’hui. Ils ont connu ce que nous avons manqué : un air plus pur, des hivers toujours enneigés, des étés à la température stable, des montagnes à la forêt intacte, une rivière jeune et pleine de promesses, des baignades dans ses eaux limpides, un écosystème en santé.
J’ai vécu une bonne partie de ma vie au bord de la rivière des Mille-Îles. Je sais qu’auparavant, ses eaux limpides permettaient aux Amérindiens de vivre de la pêche et que, plus tard, elle a permis à d’autres de se baigner. Elle a vécu beaucoup d’histoires. Tant d’amoureux y ont contemplé des couchers de soleil miroitants, tant de familles sont venues y vivre pour la beauté de l’endroit, tant de légendes ont été racontées par les différents peuples ayant foulé ses rives. Maintenant, elle n’est plus qu’un reflet abritant un écosystème de plus en plus petit, menacé par les erreurs de ceux qui ne voient que l’instant présent.
Je sais qu’un jour, cet endroit aura changé de nouveau, car la vie passe vite et même si, jeune, elle nous semble indestructible, elle ne l’est pas. Si nous ne faisons rien, un oléoduc traversera le Saint-Laurent et peut-être que nous perdrons à notre tour ce que nous pensions pouvoir garder : une rivière calme dont les eaux intemporelles permettaient de voir la beauté du monde. Si l’oléoduc brise, le pétrole se déversera dans l’eau en empêchant l’oxygène de circuler, se déposera sur les rives où on contemplait des couchers de soleil, tuera les animaux, les légendes et la forêt.
Un jour, j’aurai peut-être des enfants et je les emmènerai visiter l’endroit où j’ai grandi. Sans un mot, je contemplerai les décombres de ce que j’aimais et repenserai au temps où les choses pouvaient encore changer. Ce temps est maintenant et je remercie tous ceux qui pensent à notre avenir, mon avenir et celui de ceux qui ne mesurent pas nécessairement la gravité des enjeux. Ne tuons pas la beauté du monde.
Béatrice Lange
25)
La rivière marquée
De mon isoloir
La rivière murmure un rythme nouveau
Ses cascades bourdonnent à mes oreilles
Le bruit de l’humain
Jeune, je sautais en elle avec allégresse
Aujourd’hui, j’hésite, le souffle me manque
Sa limpidité première a disparu
Embrouillée, embouteillée, la voilà captive
On t’a promis sa libération
On t’a fait miroiter l’ivresse
Mais mon canot se heurte au roc
Le rappel de mon ancêtre crie
La rivière marquée
Asséchée par un soleil en folie
La déroute, le détournement
Le sable du désert suivant l’iceberg
Du haut du ciel
Sa voie change
Son visage s’assombrit
Ses couleurs ternissent la toile
L’araignée tient sa proie
D’île en île
Nous voici, en recherche du parcours
D’une route navigable
De la carte de Champlain
Regorgeant de poissons, d’espoir…
Roger Lauzon
26)
Mère rivière
Ô rivière
Eau, puis-je te puis-er
Eau, puis-je aller à ta source
Ta source qui sera mon embouchure, ma bouche
Ô rivière
Eau, de toute majesté
Eau, sacralisée
Comme sang, qui dans la tranchée
Coule, porte, alimente
Ô rivière
Eau, fière, orgueilleuse
Qui de ton torrent oxygène les corps
Celui de la terre, le mien
Ce corps terrestre
Qui en surface visible
Agrémente l’œil qui voit
Ô rivière
Humble, souterraine, tu dors
En cette terre auquel tu donnes
Rêverie, mouvance, humeur sanguine
Gisant au sein de l’organisme.
Ô rivière
Berceau mère de vie
L’homme puise en ton eau
Vigueur, confort
Son corps « élémental » animal y trouve son origine
Son corps « élémental » végétal s’y alimente en minéraux
Ô rivière
L’esprit humain devenu
Prend en ton essence « élémentale » toute son ouverture
Et « y » prend la saveur de ton effluve
Et « y » prend dans ton bouillonnement sacré
Ton pouvoir
Ô rivière
Ce mouvement initié pour l’eau
Est pour ta cause et pour toi rivière des Mille-Îles
Celle de garder ta limpidité, ta magie
Celle aussi pour assurer
Notre survivance
Ô rivière. Merci
Yvan Lévesque
Terrebonne, Novembre 2015
27)
Rivière de mes amours
Source claire et paradis perdu,
Matin de printemps où je sors de mon lit,
Fraîche, cristalline et débordante de joie pure,
Petit chemin ouvert vers l’océan des possibles,
Où je reçois mes amis en affluents abondants,
Les portant, transportant sur des chevaux d’écumes.
Dans mes jeunes années, je serai rivière libre,
J’aurai des bassins versants d’amours étoiles et d’eau douce,
Des zones humides où accueillir les oiseaux séduisants, migrant de mon cœur,
Des torrents de larmes pour les automnes trop rapides.
Au mitan, je serai rivière sauvage en mouvements erratiques,
Parfois la nuit, se dresseront
pierres grises et barrages grinçants cherchant à arrêter mon flux,
Parfois la nuit, se glisseront,
matières sombres et cauchemars remplis de cadavres,
Je traverserai les zones de guerre et de dépit, berges fragiles de mon âme tourmentée.
Mais avec les ans, je m’épanouirai largement et plus profondément,
Je sais qu’immanquablement le temps m’assèchera,
Mais que je finirai par atteindre l’océan des âmes,
Pour m’y baigner entouré des miens sans limites à nouveau,
Je serai enfin source lumineuse, eau de jouvence et oasis éternelle.
©Claudine Lippé
Novembre 2015
28)
De la toundra au désert
Décembre 2015
Trudeau et Couillard
s’en vont à Paris
vendre leur Plan Nord
au reste de la planète.
Je vous parie
qu’ils vont réussir.
Le réchauffement de la Planète
c’est bon pour la faune.
Les lacs s’inquiètent.
Les rivières s’agitent.
Les humains jubilent!
On va améliorer la Nature.
On va avoir des bonnes jobs
Sans chagrins,
il faudra s’acclimater
à la toundra.
Avant que ça devienne
un dépotoir et ensuite…
un désert!
John Malette
29)
sur cette berge
se souvient-il ?
nous regardions l’eau de la rivière déferler
nous avions voulu immobiliser
le flot de nos pensées
ensemble
nous voulûmes méditer
mais déjà trop emportés par l’amour
nous méditâmes sur nos tendres baisers
ainsi nous fîmes Un de ce nous
se souvient-il ?
Frédérique Marleau
30)
Chaque matin
Là où je vis, il n’y a pas beaucoup de ciment et d’asphalte. Ma maison est entourée d’arbres et la rivière coule, de l’autre côté de la rue qui mène au cul-de-sac. De chaque côté de la rivière se déploie une bande verte. Cet espace de verdure abrite plusieurs espèces d’animaux et une végétation luxuriante. C’est assez pour me faire oublier le bruit incessant des voitures sur l’autoroute.
La lumière me réveille chaque matin, je fonctionne au même rythme que les poules. Dès que j’ai du temps, je vais me promener dans les sentiers des falaises. Je marche dans les pas du célèbre fondeur Jackrabbit, mon idole. J’essaie de ne pas trop penser à tout ce qui a changé et que j’ai perdu au cours de ma vie.
Quand j’avais quatorze ans, l’autoroute quinze a été construite sur le tracé de la voie ferrée. Forcément, elle a écrasé le cœur du village, en coupant du même coup l’accès à la montagne. Grand-père a vendu ses terres à un promoteur qui a fait une coupe à blanc et bâti des condos là où il y avait la source. Le ruisseau coule dans un tuyau, depuis. Les roches sur lesquelles nous grimpions moi et l’équipe de mes frères et sœur, se dressent en d’orgueilleux murets. Les arbres géants sont tombés sous la tronçonneuse, certains déracinés par les vents violents et d’autres simplement morts de vieillesse. La rivière elle, coule inlassable, fidèle.
Je me suis rebellée, j’ai fui vers le nord et j’ai couru partout dans une quête effrénée. Aujourd’hui, j’aspire au bonheur et je sais qu’il me faut le réinventer à chaque instant. Je laisse tomber ce qui m’échappe, je pardonne et j’aime.
Ma maison maintenant me sert de phare dans la tempête qui secoue notre monde. Elle était là bien avant moi. Il me semble qu’elle reconnaît celle que j’étais, la jeune femme révoltée, instable, insatiable, agressive parfois. J’ai eu beaucoup de difficulté à trouver ma place dans la société, quelles sont les raisons pourquoi j’ai tant cherché. Il y a des anguilles sous mes roches, on peut lire entre mes lignes, des douleurs cachées, des secrets de famille que j’ai tenté de fuir. Impossible de fuir ce qui t’habite, je suis revenue pour l’affronter. Pourquoi aller si loin, s’isoler des autres quand ils sont notre salut? Nous sommes les doigts de la main, les rayons de la roue et l’amour est le lien qui nous unit.
Marguerite Morin
31)
Je m’abreuve à toi
Je m’agenouille sur la mousse verte et humide devant la source. Un rayon de soleil qui a réussi à percer l’épais feuillage, plonge jusqu’au fond de la marre. Les cailloux qui y reposent vibrent dans l’eau bouillonnante. De mes deux mains jointes, je forme une coupe. Je me penche en avant et enfonce ce petit calice dans l’eau douce et froide. Je porte l’eau à mes lèvres asséchées qu’elle hydrate et réconforte. J’en remplis ma bouche et je la sens couler dans mon œsophage où elle fleurit mon intérieur. Après en avoir lancé à mon visage, je m’assois sur mes talons, dégoulinante, rafraîchie et rassasiée.
La source donne naissance à un petit ruisselet. Je le regarde s’éloigner en chantant et en sautillant. Mon cœur se serre en pensant à ce qui l’attend.
Belle eau si pure, qui coule dans ce ruisseau qui deviendras rivière, lac, fleuve, océan, pardonne-nous de ne pas savoir te respecter. Dans ton cours, tu rencontreras l’humain qui se croit très évolué, mais qui a perdu de vue l’essentiel. Tu es en nous comme nous sommes en toi, en ce monde tout est interrelié. Tu es la principale composante de notre corps, sans toi nous sommes morts en quelques jours. Comment pouvons-nous te souiller comme nous le faisons?
Toutes les occasions sont bonnes pour te polluer. Engrais chimiques, déversements accidentels ou voulus de produits toxiques, égouts : oui! Nous avons l’audace de nous servir de toi comme poubelle pour nos déchets. Tu sers de véhicule au transport de nos excès. Au centre des océans, des îlots de plastique géants s’accumulent. Ils tournent en grossissant, étouffant les poissons. Quand tu sors des mines ou des sites pétroliers, tu es contaminée d’arsenic, de métaux lourds : visqueuse et glauque, on ne te reconnaît plus.
Madame l’eau, ma sœur, ma mère! je me battrai pour toi et je ne suis pas la seule. Nous te ferons ensemble une belle place bordée de fougères. Nous apprendrons à vivre en harmonie avec ce qui nous entoure, pour que ton cycle sans fin te ramène à la source.
Marguerite Morin
32)
La route
Assise à la fenêtre de ma cuisine, je regarde le soleil qui vient de dépasser le sommet de la montagne. Il se fraye un chemin à travers les branches dénudées des arbres, en dessinant une jolie mosaïque. De mon poste, je vois la rivière couler lourdement, gonflée par les pluies d’automne. Sans m’en rendre compte, j’ai quitté le moment présent, mon esprit vagabonde sur la voie ferrée de mon enfance. Mes petits pieds sales se posent avec précaution d’un dormant à l’autre, car je porte sur mon dos ma petite sœur. Dans un éclair, le soleil qui vient de se libérer des arbres me ramène à la conscience.
Que de chemin parcouru, je regarde par-dessus l’épaule du temps, je vois ma vie derrière moi. Depuis la fillette solitaire dans la foule de ses frères et sœur, jusqu’à la vieille dame tranquille qui s’est installée en moi, il y a toute une vie. Mes incendies sont éteints, il ne brûle en moi qu’un petit feu réconfortant.
Ma vie ne fut pas de tout repos, ma trajectoire erratique se compare au jet d’une machine à boule. Si je dessinais le tracé de tous mes déplacements sur une carte, on y verrait un griffonnage inextricable. Des allées et venues dans toutes les directions qui couvriraient les Hautes et les Basses-Laurentides. Seuls quelques rares écarts à l’étranger dévient de ce parcours.
J’ai connu beaucoup de rivières, elles avaient toutes de jolis noms : celle de chez-moi, la rivière du Nord, et beaucoup d’autres ensuite. La rivière aux Mulets, la Diable, la Rouge, la Rivière-du-Lièvre, la rivière des Outaouais, la rivière de la Petite-Nation, l’Harricana qui coule vers le nord, au-delà de la ligne de partage des eaux. J’ai visité les forêts du Nord qui s’étendent sans fin et où tu peux te perdre irrémédiablement. J’ai aimé des montagnes, dont celle de grand-père où j’ai passé une grande partie de mon enfance, elle était située non loin du pic et des falaises. J’ai parcouru d’autres montagnes, la montagne Noire, la montagne Tremblante et la montagne du Diable où vit l’esprit terrifiant d’une légende algonquine, le Windigo. J’ai rencontré des gens venus de partout sur notre planète, ils ont investi ma vie, me laissant un petit fils aux origines multiples, un enfant moderne, citoyen du monde.
Un jour, je suis rentrée chez moi dans mon village natal de Prévost, j’ai jeté l’ancre, fini l’errance. Ma retraite c’est une vieille maison, je prends soin d’elle avec sollicitude. Je la répare, la rénove, la décore, je cultive des légumes et des fleurs tout autour d’elle. Je chauffe mon poêle, comme j’en ai chauffé tant d’autres. J’évolue dans un monde qui ne ressemble en rien à celui de mon enfance. J’accepte tout ce que la vie m’apporte, car le changement est le propre de l’existence. Constamment, je remets ma pendule à l’heure, à l’heure d’aimer, de construire, d’espérer en l’humanité. Que serais-je demain? Un chevreuil tapi dans le sous-bois? Est-ce que je coulerai dans la rivière fidèle? Ou serais-je devenue la lune là-haut, coiffée de son halo?
Marguerite Morin
33)
Je suis rivière
Je suis Rivière
Rivière des Mille-Îles, sur mes îles plusieurs ont pris asile
J’aurais mille et une histoires à raconter
Assoyez-vous, prenez le temps, je vous en raconte juste quelques-unes
De la pleine lune au crépuscule, dans la brume comme au soleil
Il n’y en a pas une pareille
Dans mes eaux j’ai abreuvé toutes formes de vies
J’ai caressé, inspiré et motivé, j’y ai même soigné des âmes en peine
J’ai accueilli bien des larmes, puis vu toutes sortes de drames
Et entendu des éclats de rire jusqu’au délire
J’y ai vu toutes formes d’amour, des troubadours et des vautours
Plusieurs, au nom de l’amour, ont joué des tours
Au bord de ma berge y sont venus, des jeunes mariés, des dépravés, puis des coincés
Plusieurs ont espéré y vivre le grand Amour
Les rêves et les idées sont mélangés
Dans mes eaux, les esclaves d’amour se sont échoués comme des épaves
Sur l’eau de ma rivière,
Ont navigué de beaux voiliers; des écoliers y ont chanté
Des chuchotements, des compliments, fait par les petits comme par les grands c
Mais où sont les belles promesses de votre jeunesse
Vos rêves d’enfants, les pieds dans l’eau en regardant le firmament
Sur ma berge, ramenez-moi vos cœurs d’enfants
Sans regret, j’y ai gardé bien des secrets
Il fut un temps, où les enfants venaient courir,
Les amants s’y rafraîchir, les solitaires pour réfléchir
J’ai vu souffrir, frémir et d’autres y mourir
J’ai accepté, dans ma rivière, vos peines et vos misères
Vos résidus, vos détritus
J’ai entendu toutes sortes d’histoires, des belles et des biens noires
J’ai accueilli de vieux aigris, des sans-abris; ils m’ont conté tous leurs jours gris
De vieilles chimères, des mégères, des adultères; tous ont baigné dans ma rivière
Ils m’ont laissé bien des tourments et je les ai lavés dans mon courant
Mais aujourd’hui, j’en ai assez de vous laisser faire
Habitants de ma rivière, marins comme aériens
Ont tous besoin d’un petit coup de main
Vous les humains, donnez à votre tour un peu d’amour
Pour les générations de demain
Josée Pelletier
34)
Rivière
J’aime ton cours puissant et doux
Quand emprisonnée sous les glaces
Tu brilles par percées
J’aime quand tu fumes sous le pont
Le calumet de paix avec l’hiver
Tu fais pacte d’alliance
J’aime la fin de la trêve
Quand le dieu Mars sonne le dégel
Tu fais éclater ton corset d’hiver
J’aime ton bruit fracassant
Quand tu reçois les furieuses poussées
De ta délivrance
J’aime la débâcle et tes embâcles
Quand tu forces dans les chaînes
Entraves de ta liberté
J’aime te savoir libérée
Quand tu clignes de l’œil
Entraînée vers la mer
J’aime savoir que tu portes
Dans ton infinie tendresse
Des milliers de poissons d’argent
J’aime le bain des ondines
Dans les eaux d’un matin d’été
Parmi les fleurs et les roseaux
J’aime ton eau douce
Comme une peau de satin
Où boivent des lèvres heureuses.
Hélène Perras
22 octobre 2015
35)
Souveraines
Naguère
bien avant la pierre
la mer
des millions d’années
d’avant les poumons
d’avant les branchies
puis
colonies de coraux
fossiles et dépôts
agités déversés compressés
en large bande calcaire
la mer de Champlain
les terres basses du Saint-Laurent
et nos rivières
242 kilomètres carrés abreuvés
entre ces jumelles
entre ces jumelles de rivières
un goût de groseilles, de framboises et de fraises
deux rivières
bleue dessus bleue dessous
un lit un nid
pour chaque règne et sa famille
à l’endroit comme à l’envers
deux lèvres mouillées
deux jumelles
brunes de rivières
du Bouclier qui s’érode
de la vase en partage
deux belles belles jumelles
des Prairies aux Mille Iles
et leurs cent kilomètres
à embrasser.
Leslie Piché
36)
La rivière des Mille-Îles
Gigantesque serpent liquide, tu te loves langoureusement autour de tant d’îles qu’on cesse de les compter puisqu’il y en a sûrement un millier. Tu viens, tu passes et tu t’en vas au loin, sans te soucier des fantasques structures de béton qui t’enjambent ni des nombreuses villes que tu frôles. En été, par brise légère et jour ensoleillé, ta peau se pare d’éclats d’or et est tachetée, ici et là, par les embarcations de pêcheurs, les canots de plaisance ou les rabaskas pagayés par de joyeux néo Robinson Crusoë; ta générosité va même jusqu’à tolérer les lacérations profondes que font les oiseaux de tôle qui prennent plaisir à décoller et se poser sans cesse sur ton dos.
Le froid venu, tu te hâtes de revêtir une épaisse carapace rigide sous laquelle tu t’endors afin de vivre au chaud l’hiver qui s’étire au-dessus de toi. C’est ton temps de dormance qui te permettra de mieux t’ébrouer au printemps, alors que tes eaux deviendront hargneuses et bouillonnantes, et grugeront les rives, culbuteront les plaques de glace, emporteront les quais mal arrimés. Mieux vaudra à ce moment ne pas affronter la colère qu’aura provoquée ton réveil brutal.
Puis tes flancs abrités se garniront de flexibles roseaux et d’herbes flottantes et deviendront la scène vibrante du concert des grenouilles et ouaouarons toujours en amour. Les grands hérons iront se vautrer dans ce garde-manger providentiel, faussement insensibles aux ébats des canetons nouvellement éclos. Et, tout au long de l’été, sur les sentiers qui te côtoient, les randonneurs se feront nombreux à venir admirer les prouesses de la vie, profitant de ton accueil pour émailler de calme le brouhaha de leur existence.
Rivière née d’un passé oublié, tu es aujourd’hui porte ouverte sur un futur aux horizons insoupçonnés.
Roland Provencher
5 mars 2015
37)
Riveraine
Près de là où je vis
se trouve un cours d’eau,
comme lorsque j’étais enfant,
comme lorsque j’étais mariée,
comme lorsque je suis devenue mère.
J’ai presque toujours habité
non loin de l’eau qui court,
repère pour moi essentiel
dans le paysage de Laval,
de Montréal et du Québec.
J’ai connu la rivière des Prairies,
le fleuve Saint-Laurent,
et la rivière des Mille Îles
qui coule au bout de ma rue
m’a attirée comme un aimant.
De ma maison, maintenant,
je peux voir passer le courant.
Je ne m’en passerais plus.
Je sais que comme la lune,
la rivière est toujours là,
même cachée par la nuit,
même cachée par la brume.
Son mouvement continu m’apaise,
son abondant débit me réjouit.
Au fil du temps, cette présence
a purifié, poli
l’âme de celle que j’étais.
Je ne peux m’imaginer
privée de ce trésor
dans mon environnement.
Cécile Racine
Novembre 2015
38)
La rivière des Mille-Îles
Quel endroit invitant
que ce petit sentier
qui longe la rivière
et en épouse les méandres
Le promeneur peut souvent s’arrêter
aux petites anses transformées
en espaces privilégiés
pour la flore ou la faune ailée
Dans celle que je me plais à appeler
« L’anse aux nénuphars »
les fleurs se rassemblent pour se bercer
s’épanouir et se multiplier
En début d’été,
les bernaches et les colverts
accompagnent fièrement leur nouvelle couvée
dans la découverte de ce nouvel univers
Poser mon regard sur ces beautés de la nature
suscite mon émerveillement
et m’offre le plaisir de déceler
des œuvres d’art trop souvent ignorées
Michelle Rivet
39)
De doutes en certitudes
Elle bondit
De cassures en crevasses se faufile
Futur et passé entremêlés
S’ennuage de pleurs
Et retombe en douce pluie
Pour fertiliser l’espoir
À l’infini elle se répète
Miroir aux mille facettes
Contraste mouvant
Partir…
Loin, là-bas
Avancer, toujours,
Sans savoir…
Constante dans sa mouvance
Essence de la vie
L’Eau
Marie Roberge
40)
Toi, la grande rivière des Mille-Îles
Viens nous laver peaux et âmes brûlées par le soleil de l’indifférence
Viens nous asperger de ta douce empreinte qui réveille la conscience
Viens avec tes vagues te blottir entre nos jambes, nous ressusciter
Déblaie toutes les salissures, tous les déchets
Moi, ta fille adoptée
Je m’alimente jour et nuit de ton eau transparente et généreuse
Moi, ta fille venue du Sud pour rêver, te contempler, te parler, et te chérir
Tu te balades doucement quand le vent dort au loin
Mais quand les secousses des rafales et des bourrasques t’agitent, tu deviens furieuse
Tu m’insuffles d’énergie pour vivre et partager la joie avec mes petits enfants
Ils t’aiment et jouent parmi tes poissons, tes oiseaux et tes canards joyeux
Moi, ta fille adoptée
Je m’alimente jour et nuit de ton eau transparente et généreuse
Moi ta fille en chair et en os, sang et salive
Je te protège et je te chéris
Que je devienne roche solide pour écouter ta complainte
Que je me fasse saule pleureur pour ressentir ta détresse et la transmettre
Que je puisse être ton amazone pour te défendre
Oh mère eau, source de vie, de rythme et d’offrande!
« Donne-nous aujourd’hui » notre sève essentielle
« Pardonne-nous nos offenses »
Donne-nous la grâce pour te respecter et apprécier ton don naturel!
Amen.
Lady Rojas Benavente
41)
Eau de vie
Dans mes veines tu coules
Vivifiant tout sur ton passage
Par les matins ensoleillés
Tu éclates de milliers de diamants
Tes cascades taquinent mes oreilles
Bernaches, canards, hérons
Goélands et sternes
Célèbrent leur prélude nuptial
Mon cœur d’enfant s’enflamme
De ta beauté aux couleurs changeantes
Miroir de nos états d’âme
La pluie s’éclate en tambourinant
Sortent tes effluves marins
Eau, eau de mes amours
Irradiant mes matins
Source de vie de notre planète
Glisser dans ta fraîcheur
Sur tes îles sauvages
Un bonheur festif
Luminosité au soir de pleine lune
Douce contemplation
Ta force nous électrise
Tu nous cries « Au secours! »
Levons-nous!
Debout!
Gens du pays
Portons la flamme
De notre richesse inestimable
Notre eau, source de vie
Source de nos vies
Dans un monde plus grand que soi
J’aime ma Rivière-des-Prairies
Ma rivière des Mille-Îles
Joyau de ville de Laval.
Christiane Asselin-Roy
Novembre 2015
42)
Pour prendre la défense de nos cours d’eau
PRINCIPE UNIVERSEL
Il y a une légende qui dit qu’il y a longtemps, il a existé une vérité
Et que grâce à elle on pouvait vivre en harmonie.
Et on l’appelait : le principe universel
Il était une fois un temps, une parole
Une lumière, une voix et le verbe aimer
Il était une fois le vrai visage
De ce qu’on appelle la vérité
Il était une fois un monde naturel
Et on dit qu’il était le monde originel
Et on dit qu’il y avait des rivières cristallines
Et on dit qu’il y avait une seule vérité
Et que c’était une seule pour tout le monde
Et on l’appelait
Le principe universel
Mais un jour on s’est dit, ce n’est pas suffisant
Il est nécessaire de progresser
Et nous avons changé la nature des villages
Les rivières et le ciel, les forets et la mer
Et nous avons créé des milliers des visages
Des centaines de théories, des nouvelles réalités
Et nous avons inventé un autre monde
Et à partir de ce jour une autre vérité
Et à partir de ce jour
Ce qu’on croyait connaître
Comme le véritable principe universel
N’a plus jamais été ce qu’il était
Et chacun a improvisé sa vérité
Et petit à petit on a marché
Sans savoir comment faire pour avancer
Et ce qui une fois avait été une question de partage
Est devenu alors une affaire personnelle
Pero un día decidimos que no era suficiente
Y que era necesario progresar
Y entonces desviamos el curso de los ríos
Y se nos fue olvidando el camino del mar
Y creamos mil rostros diferentes
Y cientos de teorías y tantas cosas más
Y entonces inventamos otro mundo
Y a partir de ese día otra verdad
Il était une fois un temps, une parole
Une lumière, une voix et le verbe aimer
Il était une fois le vrai visage
De ce qu’on appelle la vérité
Ildemaro Sanchez
43)
Rivière des Mille-Îles
Il rôdait autour du domaine, le quai l’inspirait, mais il espérait encore qu’une première envie le surprenne…
Ira-t-il en croisière ou sera-t-il tenté par la lecture du bouquin qui le tourmente tant? Les deux pieds dans l’eau et paré de son chapeau à grand rebord; il tarde à se décider. Plongera-t-il dans l’ivresse de ces mots écrits sans retenue?
Ah! S’abandonner aux douceurs de la marina…
Un scénario de rôles improvisés…
Le ponton accosté qui patiente, des voiles qui frappent aux vents, des vagues qui embrassent les plates-formes, des gamins qui s’inventent des histoires de pirates et des promeneurs trop lents qui déambulent sur la rive sous un ciel sans nuages.
Le rôdeur, toujours son livre à la main, contemplait les hydravions qui s’affranchissaient des eaux de la rivière. Il épiait les amoureux qui traînaient le long des quais, il observait les avides bavards qui potinaient sur les derniers commérages et il mirait d’un regard vif, le ponton toujours amarré.
Je dus partir, je ne saurai jamais ce qu’il a décidé.
Cet automne, lors de ma dernière visite à la marina, j’ai repensé à lui. Je me demandais s’il était revenu.
Les yachts grimpés sur leurs piédestaux sont maintenant en rang pour l’hiver. Ils sont collés les uns sur les autres comme pour se préserver du froid. Les hydravions immobiles, tranquilles et silencieux s’attardent ordonnés sur leur piste d’envol, pendant que les pilotes traînent sur la terrasse habillée de bâches blanches et monotones.
Marina, toi qui veilles sur tes ouailles mécaniques, tu me sembles un peu morte. Plus rien ne bouge, tu hibernes toi aussi, un œil ouvert guettant le retour du printemps. Dis-moi Marina, qu’espères-tu?
Francine Wodarka
44)
Centre d’aide
Une femme descend au bord de la rivière
s’assoit sur un tronc de bouleau
qui perd tranquillement son écorce.
« Et si je traversais le pont pour aller à l’église de Sainte-Rose? »
La question s’égare dans la musique du torrent
elle imagine de beaux enfants riant aux éclats
sautant sur les pierres
les pêcheurs aux pantalons à bretelles
avec des perchaudes pour le souper.
Elle remonte le courant du temps
jusqu’à l’époque des premiers occupants
ceux qui chantaient la nature
les légumes du jardin, les petits fruits sauvages.
Un voilier d’oiseaux traverse le ciel
plus loin, l’Île-aux-Fraises, l’Île-aux-Vaches
plus loin de sa détresse.
Un papillon orange se pose sur une fleur fanée
soudain, elle regarde sa montre cherche une porte
il fait froid malgré la douceur de l’accueil inespéré.
— Je peux vous aider madame?
Elle se sent misérablement seule
examine les vitrines avec les incitations à la survie
« Alcooliques anonymes les étapes du deuil la rupture ».
Elle veut déjouer l’enfer
se plante devant le bureau antique.
— Je viens pour l’atelier.
— Votre nom est-il sur la liste?
Il n’est pas là, son nom
ni son homme
elle recule trébuche s’enfuit
le vent implacable sur ses joues son front ses mains.
« Personne ne voit donc mon aura? »
L’automne s’achève
le monde autour d’elle n’existe plus
elle cherche
l’inaccessible étoile de Brel.
La profonde obscurité du stationnement
des chuchotements dans le noir
elle revient sur ses pas les yeux secs le cœur battant
et après, quoi?
Le néant.
Dans le parc des Mille-Îles derrière la maison ancestrale
les eaux glaciales encore quelques canards
le boisé déjà sans feuilles les bateaux sans rames.
L’atelier se termine la cafetière se vide.
Bonsoir…
Aspasia Worlitzy
45)
Secours
De la cordillère l’eau descend en cascades
la neige fond
l’eau rejoint la mer.
Je crains les hommes
qui construisent des barrages des oléoducs
qui empêchent le libre cours des eaux.
Cachées par le feuillage multicolore de l’automne
la rivière des Prairies et la rivière de Mille-Îles
s’unissent comme des âmes sœurs
pour converger vers le Saint-Laurent.
Avez-vous déjà cueilli l’eau dans des sceaux d’infortune
l’avez-vous chargée jusqu’à vos refuges?
Avez-vous rafraîchi le visage d’un enfant
avec la paume humectée de la rosée précoce?
Voyez comment les immigrants
traversent désespérés les frontières étrangères!
Maintenant nous pouvons assouvir notre soif
vider les coupes d’eau cristalline en son honneur.
Survivre à l’exil.
Nous ouvrons les robinets nous emplissons les cruches
et la fontaine du jardin
nous arrosons un saule pleureur entouré de luxuriance verte.
Dansons dans les flaques
parcourons les canaux les marécages
les sillons de semis et de récolte!
Nous avons l’eau dont nous avons hérité
celle qui lave le dernier rêve du matin.
Aspasia Worlitzy
Une réflexion sur “«La rivière des Mille-Îles m’inspire» (2015): concours littéraire Ambassadeurs de rivière”