Chroniques littéraires 2019

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Voici les recensions résultant de la rencontre du brunch annuel des auteurs membres de RAPPEL: Parole-Création le 17 février dernier. Tous les articles résultant de cette activité seront affichés au  deuxième étage du Centre d’art de Sainte-Rose pendant les cinq jours du festival littéraire Gens de Paroles, qui sera cette année jumelé à notre Expo-vente pendant la Semaine des artisans de Laval qui se tiendra du 31 juillet au 4 août 2019. Certains de ces auteurs seront présents en séance de dédicace lors de l’Expo-vente (pour connaître l’horaire détaillé, rendez-vous ici).

Voici donc les recensions.

Pour celles de l’an dernier, rendez-vous ici.


Un Prince incognito de Claire Varin

Claire VarinLe récit de Claire Varin tient à la fois de la biographie rigoureuse, de l’hommage admiratif et de l’ouvrage d’histoire. C’est aussi un livre audacieux.

Rigoureuse, cette biographie l’est par l’abondance des sources citées à la fin du livre. Outre les dossiers de son père Roger (selon toute apparence, l’homme conservait tout et ne jetait rien), Claire Varin a complété sa documentation auprès des archives de plusieurs institutions parmi lesquelles figurent celles de la Congrégation de Sainte-Croix, de Radio-Canada et du diocèse de Valleyfield. Elle a aussi consulté plusieurs dizaines de témoins qui ont connu son père dont la plupart gravitaient autour du milieu artistique.

En dépit de cette rigueur — ou peut-être à cause d’elle —, le livre est animé par un grand souffle d’amour. Chaque page témoigne de la tendresse admirative de Claire Varin pour son père. Écrit au je et au tu, le texte relate les principaux épisodes de la vie de Roger Varin à la manière d’un repas hommage où les convives se succèdent pour célébrer le fêté en lui rappelant ce qu’il fut naguère.

Ce qu’il fut, c’est un acteur discret dans un des moments charnières de l’histoire du Québec. Né en 1917 dans une période sombre de l’histoire nationale, Roger Varin participera aux mouvements qui ont donné naissance à la Révolution tranquille des années soixante. Tour à tour membre fondateur des compagnons de Saint-Laurent, auteur de pièces édifiantes, animateur dans les mouvements sociaux de l’époque qui ont pour nom Jeunesse étudiante catholique et Jeunesse ouvrière catholique, puis journaliste, éditeur et collaborateur aux émissions religieuses à Radio-Canada, Roger Varin laisse partout où il passe l’image d’un homme animé d’une ardeur et d’un enthousiasme exceptionnels.

Ce qui étonne dans cette biographie, c’est son audace. Il faut en effet un certain courage pour ne pas dire une certaine témérité pour raconter en 2012 l’histoire d’un personnage profondément croyant. Dans les écrits de Roger, dans son journal cité par sa fille, dans sa correspondance avec les prêtres qui l’ont éduqué, on constate à quel point l’homme avait placé Dieu au centre de sa vie.

Revers de la médaille : le récit permet de mesurer l’ascendant voire le contrôle qu’exerçait le clergé sur la jeunesse de l’entre-deux-guerres. On comprend mieux pourquoi plusieurs contemporains de Roger Varin ont évacué la religion de leur vie. Pourtant Claire Varin ne juge ni n’accuse personne. Elle constate.

Un Prince incognito, un livre qui va bien au-delà de la simple biographie. Un livre qui raconte avec sensibilité toute une époque.

Un Prince incognito, Roger Varin, Claire Varin, Fides

François Jobin


Mon Géant de fer de Frida Aoun

Frida AounCe petit livre de quelque soixante-dix pages est celui d’une grande dame, Frida Aoun.

Originaire du Liban, celle-ci est arrivée au Québec au début de sa vie adulte. Cette éducatrice spécialisée, fondatrice du Café Planète Autissia, publie ici son deuxième recueil. Ce dernier compte cinq parties présentant au total vingt-huit textes.

Le géant de fer dont parle Frida Aoun, c’est bien sûr son fils, mais pas seulement. Ce géant, l’auteure le porte aussi en elle. Il habite son âme. Son âme de mère d’abord, qu’elle nous présente dans toute sa puissance dès le premier poème, Métamorphose. Le thème de la famille (mère, père, enfants) domine magistralement les cinq autres textes de la première partie.

La deuxième, Le Noël des enfants oubliés, aborde avec des mots d’une grande justesse le thème de la guerre et de ses horreurs, dont a souffert l’auteure durant son enfance libanaise. Pour survivre à cette immense souffrance, la foi lui donne le courage nécessaire.

La vagabonde éplorée, en troisième lieu, traite de l’exil et de sa kyrielle de difficultés pour qui a fui sa patrie afin de survivre à la guerre : attachement au passé, sentiment de vide,

perte de sens, quête du bonheur, pour ne nommer que celles-là. On entend ici le cri d’une femme en état de choc.

Suivront dans la quatrième section intitulée La bête au bois dormant, la mort et la renaissance de cette personne au parcours hors du commun, exprimées dans des termes qui happent, touchent le lecteur, qu’il ait vécu ou non pareil drame.

Enfin, dans La gardienne du pont, dernière portion de ce recueil extrêmement bien construit, le souffle de l’auteure s’amplifie, à la mesure de sa conscience du rôle qu’elle sait pouvoir jouer auprès d’êtres en difficulté.

Le style de Frida Aoun est unique, animé d’une énergie peu commune, teinté de sa culture méditerranéenne, avec des accents parfois bibliques. Elle nous parle de plus grand que soi.

Mon Géant de fer, Frida Aoun, Bouquinbec, 2018

Cécile Racine


Jai joué dans leau de la rive de Gaëlle Le Clézio Claessens

Gaelle Le Clezio ClaessensLe livre Jai joué dans leau de la rive de Gaëlle Le Clézio Claessens est un recueil très émouvant qui regroupe de la poésie et des récits. Mon coup de cœur va vers ce livre original qui nous fait réfléchir sur la vie. Chaque texte a une philosophie qui ne nous laisse pas indifférents. Page après page, c’est rafraîchissant et intéressant. On a toujours envie de continuer, et en même temps, de ne pas arriver à la fin tellement c’est touchant de vivre ces merveilleux moments de lecture.

Écrivaine, enseignante accomplie, amoureuse pleine de vie et d’espoir, rêveuse qui s’attarde à ses états d’âme, elle nous transmet ses confidences, ses sentiments et sa tristesse à certains moments. Originaire de Bretagne, elle a gardé l’amour de l’eau, surtout celui de la mer, et aussi celui de la nature en général, qu’elle tient à préserver.

Jai joué dans leau de la rive, Gaëlle Le Clézio Claessens, Éditions GLCC

Ginette Bernard Saint-Pierre


La pierre dorée des ruines de Mireille Cliche

Mireille ClicheLa pierre dorée des ruines est le quatrième recueil de poésie de Mireille Cliche, une auteure qui remporta en 1991 le prix Octave-Crémazie pour Jours de Cratère. Elle nous y convie à la traversée d’un deuil dont l’origine demeurera mystérieuse, mais dont nous relèverons les traces le long d’un parcours savamment orchestré.

Le livre ouvre sur un prologue qui communique un découragement profond et tristement actuel devant l’état d’un monde où tout projet et toute empathie semblent voués à l’échec. Sobrement, sans lyrisme, l’auteure en dresse avec fatalité un sombre tableau : « J’ai rangé mes mains pour d’improbables récoltes / et de mon seuil je regarde passer / ceux qui croient que l’avenir patiente ».

Ranger ses mains, renoncer à toucher, à rejoindre. Dans cette image des mains détachées du corps et dans le retrait, comme dans l’humanisme du propos, ici désenchanté, on sent une filiation avec Anne Hébert. Intense solitude, vie à distance des humains, comme si l’espoir avait déserté.

Peu à peu, la raison de cette désertion se précise sous la forme d’un fantôme, et le lecteur réalise que l’origine du deuil se situe peut-être du côté de l’enfance, dans le ventre des familles, dans le départ d’une aimée en-allée. Tristesse, désarroi. Point de joie ne subsiste non plus, des amours anciennes, aujourd’hui mortes : « j’ai fait de si beaux restes / accrochée au désir / comme à ma perte »

L’ironie est coupante. On croirait percevoir de l’acceptation en ce ton doux-amer mais qu’on ne s’y trompe pas. Bien que le temps d’agir soit révolu, sous l’apparente résignation couve une grande colère : « je suis une femme douce / avec beaucoup de haine ».

Le secret reste toutefois entier, obligeant l’auteure à avancer avec brio sur le fil étroit, départageant désir de témoignage et pudeur, nommant le silence qui en résulte ainsi que l’Écriture qui résiste et s’échappe. « Mes cahiers étaient patients » dit-elle, mais la politesse, plus exigeante encore. Il sera ensuite question de naufrage mental. Qui est-elle celle que la folie emporta, la tellement aimée, la violemment sauvage? Impitoyable, l’écriture retrace la souffrance, la dépossession, les vaines tentatives de sauvetage, jusqu’à la défaite.

Pour elle, l’abandonnée, la non-nommée, ce livre comme un amoncellement de pierres-mots, assemblées jusqu’à former une montjoie, un cairn où une lumière pourra se poser et signaler : elle était là, en la vie d’une femme qui l’a aimée. Pour qu’avec sa fille ensuite, celle-ci, l’auteure, puisse poursuivre sa route.

La pierre dorée des ruines, Mireille Cliche, Éditions le Noroît

Nancy R Lange


Lodeur des vieux papiers de François Jobin

François JobinD’abord ce titre : Lodeur des vieux papiers. La lectrice du cinquième roman de François Jobin sait de quoi il en retourne. Elle s’identifie d’emblée au travail de dépouillement par Bruno, le narrateur, des archives de Simon Beaudoin, son père récemment décédé à l’âge respectable de 94 ans : oh! coïncidence, la lectrice a fait la même chose avec son propre père et en a sorti un récit. Mais oui, chaque humain possède sa « boîte à souvenirs ».

Croulant sous le poids des archives paternelles, Bruno épluche les dossiers de la boîte à souvenirs de son « ramasseux » de père qui a toujours eu les deux pieds dans les médias, comme annonceur puis animateur vedette de Lheure de la ménagère à Radio-Canada. Bruno, lui-même rédacteur en chef d’un périodique scientifique, nous fait part des étapes de la vie de son père, de quelques extraits de sa correspondance personnelle ou professionnelle et notamment d’un article de La Presse sur la naissance de la télévision en 1952.

La lectrice note au passage une critique sentie de la « médiocratisation » actuelle de la télévision, milieu de travail bien connu du romancier et réalisateur François Jobin. On suit l’auteur avec intérêt et on apprécie l’entrecroisement du récit des découvertes archivistiques du fils narrateur avec les monologues du père sur son cheminement dans l’autre monde et ses révélations progressives d’outre-tombe.

Il y a l’en-allé et ses cendres mais aussi l’espérance. Et celle-ci vient par le père, car pour le narrateur « vaincre la mort [est] le vieux fantasme de l’humanité qui neutralise ainsi son désespoir devant l’absurdité de sa fin ». Simon joue au fantôme avec son fils avant que celui-là comprenne la nécessité de laisser les vivants aux vivants (comme on doit laisser les morts avec les morts) et avant que le « cordon ombilical qui [le] rattache encore à [sa] vie terrestre se dessèche ». Quoi qu’il en soit, la mort est dans la vie et inversement. Comme la vérité est dans la fiction?

Ce roman sur le travail du deuil traite de son sujet sans aucune lourdeur, car l’auteur ne se prend pas au sérieux. Il nous conduit avec habileté jusqu’au terme de son récit en nous gratifiant de ses clins d’œil amusés.

Lodeur des vieux papiers, François Jobin, Montréal, Groupe d’édition la courte échelle, 2015, 196 p.

Claire Varin


Les arcs-en-ciel de ma vie de Renée Crépeau

Renée CrépeauÀ la suite du décès subit de son époux, Renée Crépeau met, dans Les arcs-en-ciel de ma vie, ses souvenirs sur papier afin d’avoir un regard lucide sur les événements passés de sa vie et sur ses questionnements. Née à Sainte-Aurélie dans une famille de treize enfants, elle dut peiner comme les autres aux travaux domestiques et de la terre, tout en appréciant les beautés de la nature environnante, avec un engagement familial et religieux, dans une atmosphère en même temps affectueuse et sévère.

Dans sa jeunesse, la fraternité est mise en relief. Toute la famille participe. À la ferme, le travail ne manque pas et les parents sont les modèles à suivre. C’est une fourmilière; chacun met l’épaule à la roue avec abnégation et discipline. Sa vie adulte se poursuit dans l’enseignement. Puis elle forme, avec son époux Richard et leur fils, une famille qui s’implique dans la vie sociale. Deux petits-fils remplissent leur contentement. Sa vie coule comme rivière jusqu’au décès prématuré de son mari. Le choc est dur à encaisser et sa réflexion porte sur sa vie matrimoniale des dernières années. Les arcs-en-ciel du passé se présentent à sa vue, afin d’aller plus loin. Son fervent catholicisme lui donne la sérénité dont elle a besoin.

Tout au long de sa vie, l’engagement social de Renée Crépeau témoigne de sa générosité. Sa vision anthropologique de la vie de l’époque des années 1940 et 1950 est l’un des éléments intéressants de l’œuvre de Renée. Elle apporte à ses lecteurs un témoignage sans concession et sincère.

Les arcs-en-ciel de ma vie, Renée Crépeau

Raymonde Cloutier


SOLOS de Dominique Gaucher

La musique des univers parallèles

Dominique GaucherLe recueil SOLOS de Dominique Gaucher est une musique à cinq temps, ponctuée par les titres évocateurs des chapitres autant que par les sentiments extrêmes qui les traversent. C’est tantôt une fugue, une échappée vers un amour passager, et tantôt une sorte de requiem pour la mère.

De l’âge adulte à l’enfance, la poète nous fait pénétrer à rebours dans son univers. À quarante-quatre ans au moment de la publication, dans le redoublement du chiffre de ses années, elle révèle la cause profonde du sombre revers qu’elle trouve à l’amour après le premier éblouissement : la froideur d’une mère qu’elle aurait voulu séduire, mais avec qui elle a fini par entrer en vive compétition. Cette ambivalence affective éprouvée dès l’enfance la hante dans ses relations amoureuses d’alors.

Il y a d’abord l’émerveillement, au premier chapitre, quand deux solitudes se rencontrent, s’unissent en duos existentiels :

J’envoie des messages aux étoiles

Antennes satellites

parlez-lui de moi

Je m’élance dans le cerceau de la lune

Culbute dans sa nuit d’été

Le duo amoureux entre ensuite dans un chassé-croisé où la certitude fait place au doute, où l’évidence de l’attachement s’atténue, où l’élan premier est entravé par un recul intérieur : « Tu me tiens à cœur / l’instant d’après / je t’efface ».

Peu à peu, l’élan du cœur s’alentit, le chemin qui mène à l’autre se rétrécit. Un seul pas à faire, mais c’est un pas perdu, égaré entre l’amour et la solitude survenue au premier détour : « Nous sommes étanches / l’un à l’autre / Mondes uniques ».

Les solitudes demeurent quand même fusionnelles et appellent une commune mort symbolique : « m’éteindre avec toi sans retour en noyade éperdue ».

Mais ces pas d’adulte qui se perdent ne se retrouvent-ils pas dans les traces encore visibles laissées par la mère dans l’âme de l’enfant poète? Avec cette femme — qui n’a rien d’une mère, même si elle en porte le nom — s’enclenche un duel violent :

Ce fleuve de bile

qui meurtrit mes flancs

d’une érosion tranquille

c’est l’écume contenue

de tes gestes hésitants

c’est la marée de ta douleur

qui va et qui vient

balançoire triste

Et c’est ainsi que, beaucoup plus tard, les duos se transforment en solos pluriels : « Le rêve a levé l’ancre / Je dois marcher seule ».

Le recueil se clôt sur cette note finale. Les univers intimes sont parfois des parallèles qui ne se rencontrent jamais, comme l’illustre éloquemment ce livre de Dominique Gaucher.

SOLOS, Dominique Gaucher, Écrits des Forges, 95 pages, 1999

Pauline Michel


Seule sur mon étoile de Ginette Bernard Saint-Pierre

Ginette Bernard St-PierreGrâce au livre de Ginette Bernard Saint-Pierre Seule sur mon étoile, il est agréable de plonger dans cette narration d’un passé bien vivant, pas si lointain et pourtant si différent de la vie d’aujourd’hui.

«  Respecter, aimer, aider » est sa devise.

D’une vie exemplaire, un peu coquine, c’est un récit des conditions de l’époque. L’on s’y croirait tant c’est imagé, réel, bien senti et gentiment livré à la lecture. Plus que les grands moments, qui méritent citations et étincelles d’émois tristes ou joyeux, ce pas à pas qui les décrit et les provoque.

Si curieuse, si douce, si aidante, son écriture démontre sa participation à sa famille, à notre monde rude et si beau à la fois, notre milieu de vie. Il y est des surprises agréables, des contraintes, les enfants à chérir à l’abri des peines et des tendances pénalisantes.

Ce livre est d’un cœur aimant l’expression d’une existence familiale, amoureuse, amicale qui rend accessible, en envolées poétiques, sa prestance de vérité et d’espoir, sa vie bien à elle.

Chacun peut y retrouver un peu de soi, de cette flamme de la vie que nous menons en ce monde diversifié. On peut y puiser cette énergie d’amour si appréciable, ainsi que l’observation de la nature en sa générosité au rythme des saisons.

Un très beau témoignage.

Seule sur mon étoile, Ginette Bernard Saint-Pierre, Éditions Étoile de mer

Gaëlle Le Clézio Claessens


Où va le vent?  de Raymonde Cloutier

Raymonde CloutierAvec une belle ouverture et un grand intérêt pour les événements mondiaux qui se sont déroulés depuis le début du XXe siècle, Raymonde Cloutier nous offre, dans Où va le vent?, une description bien documentée de l’époque de la colonisation et des conditions de vie précaires de la population rurale au Québec. La triste réalité qu’est la grande pauvreté, pour ne pas dire la misère, est ici présentée avec justesse, Raymonde l’ayant elle-même vécue.

Ce récit véridique permet de faire ressortir, sans les mentionner à outrance, le courage, l’ingéniosité et la persévérance dont ont fait preuve les membres de ces grosses familles, installées sur des terres non défrichées. Le renforcement humain et spirituel apporté par les autorités religieuses d’alors y est trop souvent assombri par une transmission de valeurs à saveur plus janséniste que chrétienne. Énoncées avec radicalité dans un contexte de soumission, elles génèrent plus de peur et de culpabilité que de soutien. Oh non! la pauvreté n’est pas que matérielle!

Aussi, la crainte et la révolte grondent dans les mansardes où la communication est réduite au minimum. L’emprise malsaine et parfois irrespectueuse des autorités ecclésiastiques est exercée sans discernement et elles déteignent sur les relations hommes-femmes, parents-enfants. Les rejets subis par les enfants nés hors mariage et leurs parents, allant jusqu’à l’excommunication, démontrent le manque flagrant d’éducation et l’ignorance dominante. Ils conduisent à l’isolement. Et que dire des devoirs dits « conjugaux » imposés aux femmes?

Cependant, de cette période de grande noirceur ont émergé des personnes ouvertes et réfléchies avec une soif de liberté bien légitime. Sans relâche, avec persévérance, elles ont contribué à l’établissement d’une meilleure éducation et ont lutté pour une scolarisation offerte à tous.

Un exemple concret de cette résilience est illustré sur la page couverture de cet écrit. Elle a germé dans le cœur d’une jeune fille qui a pris soin de son père invalide pendant quatre longues années, qui furent une longue période de réflexion et de grande solitude.

Tout comme la fleur des champs en couverture, elle a su puiser dans ses racines solides et tourner sa longue tige vers le soleil, vers l’avenir, vers la vie. Ce roman exprime sa joie d’être libérée.

Où va le vent? , Raymonde Cloutier

Renée Crépeau


Le souffle de lapocalypse de Mario Pelletier

En désespoir de cause, le recours au poème

Mario PelletierPoésie de la fin du monde? Non. Évocatrice de la fin d’un monde, voilà qui pourrait sembler plus juste, car, comme chacun sait, celui-là ne peut en connaître puisqu’à l’exemple du poème, il est infini dans son souffle malgré ses mutations et les fins de cycles. Voilà une façon de dire si l’on veut tenter de résumer ce livre en quelques mots, cette suite de poèmes divisée en cinq parties.

Mario Pelletier a pratiqué plusieurs formes d’écritures, ayant à son actif plusieurs titres échelonnant son parcours d’écrivain. Dans ce livre, il revient aux amours premières; c’est le recours au poème.

On pourrait parler de procédés connus caractéristiques de toute parole à la recherche de son chant : allitérations sonnantes émaillant le texte, épousant une métrique plus ou moins classique n’ayant rien d’artificiel, car ne se réduisant pas aux artifices, ces colifichets de faiseurs de rimes et autres « oulipistes » jamais revenus du néant abyssal de leur formalisme. Voyons un peu :

Tant de saisons à tourner en ronds-points fermés

à patauger morose en dédales de soi

dans l’âpre chiendent des morts debout

tout ce portage amer en amnésie

dans l’aboulie du pays aboli

En effet, on ne cherche pas ici qu’à montrer que l’on sait écrire, mais à poursuivre un dire au plus proche du geste de « vécrire ». Un vers, ou une succession de vers, peuvent marquer tel un piéton la marche du poème pour mieux inscrire le rythme de soi dans le temps du poème, qui fait ici un avec le temps historique. Malgré la dématérialisation apparente du monde, des êtres sous toutes formes qui l’habitent, de l’abolition du temps au profit d’un espace qui s’étend progressivement pour se transformer en lieu déserté, cette parole tente de s’inscrire dans chaque strophe à l’instar du poème qui assure sa chute et tombe juste — point d’orgue.

Donner à entendre et à voir, le long du vers, le murmure ou le monologue sur un monde en voie de dissolution, le procès de la désertification, en un chant qui est une traversée d’un soi, individuel et collectif, laissé en déshérence.

Si l’apocalypse, comme le suggère le titre de ce livre, balaie impitoyablement tout sur son passage, n’oublions pas que ce mot ne signifie pas seulement fin, mais révélation. Du monde? D’un monde? C’est aux lecteurs d’en juger.

Ce livre est une inscription au fronton du temps, un défi lancé aux forces de l’obscur et de l’amnésie.

Le souffle de lapocalypse, Mario Pelletier, Écrits des Forges, 63 pages, 2018

Jean-Pierre Pelletier


Alluvions de Jean-Pierre Pelletier

Les riches sédiments de la mémoire poétique

J_P PelletierLe temps, perdu ou retrouvé, est un thème privilégié en littérature. Ici le poète ne prend pas, à la Proust, le biais d’un sens, olfactif ou autre, pour retrouver le vécu passé; c’est plutôt l’ensemble des sens qu’il convoque en mémoire pour soulever et exorciser les dépôts, les alluvions que l’écoulement du temps a laissés sur son passage.

Qu’ils soient lac ou fleuve, étoile filante, lune d’automne, rive de saules, « ciel d’une nuitée » ou « miroir d’un jardin », ces divers sédiments, ces couches de réalité vécue ou fantasmée, Jean-Pierre Pelletier nous les redonne avec ce qui est resté lié à eux de souffrances, de joies, de beautés, de rêves, accomplis ou non, mais surtout, en les transfigurant par la vision et le verbe poétiques.

Ainsi, par des associations de mots qu’on dirait parfois aussi fortuites que des coquillages trouvés sur le rivage ou, d’autres fois, frappantes comme des silex entrechoqués qui allument l’attention, le poète ravive des paysages, des scènes, des moments d’amour, de bonheur, de contemplation ou de déchirement qui jouent, sur le théâtre le plus intime, la tragédie du temps qui passe.

Et tout un chapelet de sensations retrouvées s’éveille et s’égrène, dans des pointes d’ironie ou des lueurs de nostalgie, versant dans le chagrin, voire dans des humeurs noires, des regrets mélancoliques, des constatations désabusées :

Je cherche les visages

étrangers et oubliés

dans un miroir de lézardes

Les corbeaux s’envolent

vers un ciel de plomb (p.44)

Ou encore : « Personne n’entend l’angoisse des racines / crispées par l’âge… » (p.25)

C’est une poésie qu’on dirait parfois pleine, sinon forte d’élans retenus, contenus dans la vibration d’un chant qui garde une harmonie incantatoire, ne poussant jamais la note jusqu’à la stridence, restant proche de la respiration des choses, du souffle des êtres et des saisons; ce qui n’exclut pas l’envolée, ici et là, d’incantations émouvantes proches du cri:

Avant j’allais étranger

drapeau inutile au sol

qui n’attend pas même un ultime claquement

J’allais furieux

grattant toujours l’oubli

chaque fois plus amnésique (p.35)

Jean-Pierre Pelletier, faut-il le dire, ne cultive pas l’image pour l’image, il ne se perd et ne nous perd jamais dans un formalisme de métaphores gratuites, vides de sens. Aussi, dans ces Alluvions, nous livre-t-il un chant poétique envoûtant, avec une justesse, une dextérité et une finesse esthétique qui ne se démentent pas.

Alluvions, Jean-Pierre Pelletier, Écrits des Forges, 67 pages, 2011

Mario Pelletier


Les fées insomniaques de Pauline Michel

Pauline Michel a publié plus d’une quinzaine de livres, romans, contes, nouvelles, de la poésie et du théâtre. Elle a aussi composé dePauline Michels dizaines de chansons pour adultes et pour enfants, en plus d’avoir été scénariste pour la télévision et le cinéma. Ses plus récents titres sont La quête de la fille disparue, un roman coécrit avec Mario Pelletier paru en 2017, et Les fées insomniaques, un recueil de poèmes paru en 2016.

Dans ce livre, Pauline Michel nous convie à un voyage dans la mémoire, une croisière sur le bateau tatoué sur le bras de son frère Laurent, décédé trop jeune après de longues souffrances. Pauline raconte qu’un matin, très tôt, elle a cru à la visite de son frère décédé. Le livre s’est écrit d’un trait, porté par son souffle. Le prologue donne le ton au livre : « Il y a des traces de vos pas / dans mon sablier cassé » (p.11). Puis commence La croisière éternelle où la poète appelle les souvenirs, s’ouvre aux esprits des morts, depuis « Tant de saisons de cendres / encore fumantes / dans la mémoire » (p.17). Les souvenirs se présentent : « Un pétale / entre deux pages / ranime la fleur entière » (p.22) et interrogent l’auteure :

Quelqu’un

dans ma poitrine

bat de l’aile

à côté d’un ange

affligé » (p.24).

Évoquer des souvenirs touchant son frère fait naître des interrogations sur la mort, celle des autres, celle des animaux et la sienne, avec les larmes qui neigent sur les étoiles d’une enfant. Après ce travail vers la mémoire, elle affirme : « Nous avons renoué le fil de l’eau / nouvelle croisière / après l’escale fatidique » (p.35). Mais il est difficile d’entrer au royaume des morts : « Il faudrait freiner même les oiseaux / éviter la collision des consciences » (p.38) et il est difficile pour la poète de revenir de sa vision : « Midi n’a pas chassé les ombres » (p.40), malgré la présence des fleurs sous le soleil. Les « fées insomniaques » sont là. Le livre se termine sur un chant d’espoir.

L’écriture est belle et simple, et suscite l’émotion avec des vers qui ne sont pas chargés et des tonalités délicates.

Michel, Pauline, Les fées insomniaques, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2016, 53 p

Dominique Gaucher


Par la fenêtre de Nancy R. Lange

Nancy r Lange« Je me dresse falaise. Elle se détourne corneille. Je m’effondre gravats. » Choisies parmi bien d’autres, ces quelques phrases suffisent à illustrer la densité et la force d’évocation de Par la fenêtre, septième recueil de poésie de Nancy R. Lange.

Voici un livre qui traite d’un passage déchirant, celui où l’enfant que l’on chérit, devenue étrangère aux siens, aiguise sa colère, redéfinit le jeu et laisse planer sur la maisonnée l’ombre de son départ. Le lecteur y cherchera en vain la mesure d’un amour par définition infini. « Une mère est une mère est une mère. »  Quand « L’adolescente se terre, furieuse » , quand elle s’exerce à partir et à revenir, qu’elle « fait ses classes avec les oiseaux » , on ne peut qu’observer, soigner ses offrandes et attendre. On ne sait que guetter les mouvements à l’étage, au bout de cet escalier qu’on hésite à prendre et qui symbolise la distance qu’on voudrait tant abolir.

Attentive au moindre craquement de son foyer, à l’affût de la plus infime possibilité de reprise du dialogue rompu, la narratrice explore souvenirs, inquiétude, attente et peine dans une langue nourrie à même la chair des jours. Au cours du récit fait ponctuellement irruption un tu solaire, réconfortant, que l’on devine être le père de cette elle, l’adolescente à l’amour orageux dont on redoute le rejet. Par lui se maintient l’espérance qui portera la narratrice d’une saison à l’autre. « Elle ne se réfugiera plus en nos mains pour s’y nourrir, m’expliques-tu, mais elle viendra de temps à autre se reposer un moment dans le nid de nos cheveux. »  L’hiver passera, puisque « Les années filent et filent et [qu’] un matin, elles sautent dans le vide comme une route qui débouche sur l’horizon. »  Surviendra enfin une aube où, acceptant la mue nécessaire, l’on réalise que « C’est une belle journée pour essayer ses ailes. »

Dans ce recueil, Lange emprunte au monde de la nature et des objets pour aborder l’univers des sentiments et en décrire les subtilités. Le vocabulaire s’inspire de la maison, ce refuge contre « les nouvelles d’ailleurs » , de la « forêt [qui] nous connaît depuis toujours » , du corps. En résulte une magnifique série de moments où l’on dépeint, d’une plume sensible, trempée dans l’essence des choses, les aléas d’un amour souffrant.

Par la fenêtre, Nancy R. Lange, Écrits des Forges, 2019

Mireille Cliche