Après avoir visité la rivière des Mille-Îles, la rivière du Nord et la rivière des Prairies, le projet Ambassadeur de rivières est monté à Tremblant pour célébrer la rivière du Diable. La libraire Carpe Diem a été notre partenaire en ce qui concerne le concours littéraire « La rivière du Diable m’inspire » et la poète et animatrice d’événement des Laurentides Anna-Louise Fontaine a accepté d’en être la porte-parole
Elle a fait la promotion du concours auprès des poètes qui fréquentent ses événements et a organisé l’événement final, avec la complicité des musiciens Emmanuel Lavigne et Charles Casavant, que je remercie! Pour ce volet du projet, nous avons aussi pu inclure un volet participatif pour les jeunes, une subvention d’Emploi Été Canada octroyée à RAPPEL : Parole-Création, qui a permis à deux étudiantes de niveau universitaire, Béatrice Lange et Maelly Rompré-Pepin, de réaliser un théâtre d’ombres à la Maison des Jeunes Tornade Jeunesse de Tremblant. Le visionnement du film en résultant a emballé les jeunes tout autant que leurs parents. Pour visionner celui-ci, vous n’avez qu’à suivre ce lien.
La température ayant été de la partie, il en a résulté un événement magique, sur la place ombragée par un grand arbre en face de la libraire et Coopérative de solidarité Carpe Diem. Ensuite, lectures et projections ainsi que remise de prix et micro ouvert ont eu lieu, accompagnées de musique, jusqu’à ce que les heures nous transportent sous les étoiles! Vous trouverez dans ce document les textes de tous ceux qui ont participé au concours
Certains textes furent finalistes, un d’entre eux fut lauréat, mais chacun d’eux porte une voix pour célébrer la rivière du Diable
Merci à l’auteure Anna-Louise Fontaine, pour le formidable coup de main à l’organisation du concours, sa diffusion et l’organisation de l’événement final. Merci à la Librairie Carpe Diem, une librairie exceptionnelle qui donne un support formidable à la poésie et à la littérature en général, pour la commandite d’une partie du prix remis à la lauréate remis au gagnant. Merci à Martine Châtelain, représentante de Coalition Eau Secours!, à la romancière Monique Rouleau-Pariseau et l’auteure lavalloise et membre du conseil d’administration de RAPPEL : Parole-Création Marie-Soeurette Mathieu d’avoir accepté d’être jury pour ce concours. Merci à Marguerite Morin, Ambassadrice de la Rivière du nord et à Marie-Annie-Soleil, pour avoir offert le chant de purification de l’eau en ouverture des lectures. Et surtout, merci aux auteures et auteurs, d’avoir accepté de participer à cette rivière de voix! Vie et santé à nos rivières!
Nancy R Lange, présidente de RAPPEL: Parole-Création
représentante des Porteurs d’eau pour Coalition Eau Secours!
Voici donc les textes des participants…
1.
La Diable
— Maman, crois-tu que je devrais épouser Michel?
— Ma fille! Ma chère Colombe! Réfléchis! Ton amoureux parle comme la Diable! Il a la bouche pleine de cailloux!
— La Diable?
— Oui! Michel est beau et fier, coulant comme un serpent, il ira loin, il t’emportera jusqu’en Outaouais!
— Maman! Tu exagères! La Diable est impétueuse! Mais elle est aussi tendre, et coulante.
— Où donc?
Colombe prend un air rêveur.
— Papa m’y avait emmenée, à la pêche.
C’était à l’orée du parc du Mont-Tremblant. Colombe ne s’empêtrait pas, tenant sa canne en bandoulière, en carquois. Son père pestait entre les branches piquantes. Ils allaient au vieux pont effondré. « C’est le meilleur spot », disait le paternel. Les truites se cachent sous les débris de ciment, à l’ombre. Avant, il faut marcher à travers les sapins, avoir soif, se mouiller les pieds sur le sol spongieux; les fardoches emmêlées griffent les mains, ouille, elle est où, la rivière, papa?
— N’entends-tu pas? Elle rugit!
Ils marchent.
— Attends-moi! criait papa. Reste près de moi! Si tu tombes, je ne pourrai pas te sortir, l’eau t’emportera, la rivière est haute à ce temps-ci.
Il ne veut pas que Colombe parvienne à la Diable avant lui. Il connaît les tourbillons noirs, les remous, les rocs abrupts.
— J’ai hâte de me baigner!
— Attends-moi! Patience! À la rivière nous irons nous mouiller, nous aurons des pierres où nous asseoir.
Colombe avance à pas rapides. Soudain, elle crie :
— Papa, il y a un cheval!
— Un cheval?
Oui, elle entend des bruits de galop, des éclaboussures, des hennissements, il piaffe! Il s’ébroue.
— C’est ça, la Diable, dit son père à voix basse.
Il s’accroupit en Indien, les yeux perçant les feuillages à l’horizon.
— Elle prend la forme de tes rêves et les accomplit. Il y est ce cheval; si tu l’entends, c’est qu’il y est.
Et d’un air songeur, il ajoute :
— Ce sont peut-être les billots de bois qui s’entrechoquent?
Colombe regarde les bouillons, fouillant les remous de son regard. Les reflets du ciel, des fragments bleus se fracassent en éclats sur les roches de granit.
— Les billots? Quels billots?
Son père appâte les cannes et raconte :
— Oui, la rivière a transporté le bois pendant un siècle! Elle a donné du fil à retordre aux draveurs, plusieurs y ont péri. C’est pourquoi ils l’ont baptisé La Diable! La Diable est un cheval sauvage, elle ne se laisse pas monter facilement! Allez, jette ta ligne avant que les mouches nous dévorent!
Et plouf! Et crac! La canne plia et Colombe tira une belle truite!
La mère de Colombe rit.
— Beau souvenir! Et ton amoureux dans tout ça?
Colombe réfléchit. Puis elle sourit en disant :
— Je l’attraperai, lui aussi!
Désirée Szucsany
Lauréate, ambassadrice de la rivière du Diable
2.
La Diable
La Diable
mariée de velours noir
aux passementeries argentées
agitées
promise au fleuve lointain
qui t’attend majestueux
dans toute sa gloire
tes amants
grandiloquents feuillus
bouleaux graciles
conifères ténébreux
rendent hommage
à tes charmes étalés
te saluent
et te donnent congé
pour te remettre à l’époux
qui s’en délectera
*************************
La Diable
de satin noir
veuve de tous ces valeureux
draveurs de leur métier
qui se donnaient à toi
te chevauchaient gaillardement
et que tu brisais
engloutissais aveuglément
parfois
debout sur les impitoyables
troncs d’arbres
qu’ils détachaient les uns des autres
de leurs gaffes agiles
ils les acheminaient
vers leur destin
humble ou glorieux
devenir
maisons pour vivre
poutres soutenantes
fenêtres sur la vie
meubles
tables pour se nourrir
lits pour dormir
lits pour procréer
lits pour accoucher
lits pour mourir
sièges pour causer
sièges pour siéger
prie-Dieu sculptés
statues à vénérer
potences pour en finir
cercueils du sommeil ultime
poteaux
porteurs de linge
porteurs de lumière
seaux porteurs d’eau
fûts pour la bière
fûts pour le vin
barriques pour la lessive
barriques pour le bain
berceaux
**************************************
La Diable
dame sombre
aux rives tourmentées
t’en souvient-il
de ce grave personnage
qui nous apparut
non loin d’ici
par une journée
inoubliable
certainement Il t’avait fréquentée
certainement Il s’était imprégné
de la majesté qui se dégage
de tes abords sauvages
d’ébène
immobile
l’Archange se dressait
au milieu du chemin
impassible
impavide
prudent
il nous observait
nous étions peut-être
ses premiers humains
Imperceptible
un mouvement nous confirma
qu’Il n’était pas une sculpture
qu’Il n’était pas un totem
qu’Il était
impérial
magnifique
un être vivant
son regard
plongé dans notre regard
comme une épée
au cœur de notre âme
nous défiait
autant qu’il nous rassurait
son corps
d’une beauté extrême
était un hymne
à la Beauté même
son calme
imperturbable
se répandait limpide
et l’entourait d’un halo
Notre silencieux échange
était celui d’un ange
avec deux humains
éperdus de reconnaissance
d’avoir rencontré
un Être aussi beau
c’était
splendide
régnant paisible
sur sa forêt
couronné
de son panache royal
un orignal
La Diable, t’en souvient-il?
Giselle Bart
hors-concours
3.
Ma planète
J’habite la planète Terre, une belle boule bleue dans l’univers
Proche d’un soleil qui la réchauffe et moi aussi.
Je ne fais pas que l’habiter, elle me nourrit
Je mange ses fruits, ses légumes, ses grains
Un peu de ses bêtes et de ses crustacés
Je les lui remets et elle en fait tout un monde végétal
Elle apaise ma soif, ses eaux me lavent et me rafraîchissent
Parfois emportent aussi un peu de moi
Et elle me redonne, de tant de beautés
Je ne fais pas que l’habiter, je la respire et la contemple
Je l’écoute, à travers le vent et ses marées,
À travers ses chants d’oiseaux, ses cris d’animaux
J’essaie de l’embellir, de l’entretenir, d’en faire un temple
Je lui dois bien ça, après tout, elle m’a donné la vie
Elle me redonne la vie à chaque jour
Je suis son enfant, elle est ma mère
Je partage avec elle mes joies et mes larmes, mes silences
Et elle aussi, elle me dit son cœur et son âme
Que je ne comprends pas toujours
Je ne fais pas que l’habiter, cette terre
Je la parcours à l’occasion, je la découvre, un peu
De ses gens, de ses climats, de ses paysages et de ses continents,
De ses couleurs, de fleurs et d’humains, d’arc-en-ciel lumineux
Je ne suis jamais vraiment seule avec elle
Elle me porte, me supporte toujours
Un jour, elle me reprendra avec elle,
Et elle continuera de nourrir mes enfants
Et les enfants de mes enfants
Et encore, et encore, je l’espère.
Mireille Bourdeau
4.
Une diable de belle aventure!
Bien assise sur mon nuage, j’attends le grand départ. Les cumulo-nimbus se gonflent d’orgueil. Je me frotte à mes consœurs, déclenchant éclairs et tonnerre.
— Préparez-vous les filles! nous lance la goutte en chef. On vous largue dans ce que les humains appellent le « lac du Diable ».
— Non pas ça! Je suis née pour la paix et le bien-être de la nature. Je ne veux pas finir mes jours dans les bas-fonds d’un lac où le diable règne.
Je descends. J’essaie de m’agripper à une branche. J’aperçois l’immense étendue d’eau du lac diabolique.
— Non pas moi! J’ai déjà séjourné dans un bénitier, me voilà vouée à finir ma vie en enfer.
Je supplie le Ciel de me ramener là-haut. Je frappe la surface aqueuse. L’écume m’enveloppe d’un drap blanc.
Après quelques heures de ce manège, le vent s’estompe. Mes consœurs s’activent à rétablir le calme des flots. Les rayons du soleil pointent entre les nuages et se déposent près de moi. Tout s’éclaircit sous mes eaux. C’est magnifique!
Après quelques jours de tranquillité, la goutte en chef nous interpelle.
— Vous allez quitter ce lac pour entreprendre un long périple de quatre-vingt-deux kilomètres.
Mais je suis bien ici. Puis il n’y a même pas de diable!
Elle me jette un regard accusateur.
— Ah! c’est ce que tu crois! Tu vas voir que le diable ce n’est pas juste dans les contes!
Je dois me préparer au pire…
Le vent me pousse de plus en plus près de la rive. Le courant devient plus intense. L’endroit se rétrécit. J’essaie de m’agripper aux roches. Je déboule à une vitesse folle.
— Attention! un arbre droit devant.
Je m’éclabousse de plein fouet. Après quelques mètres, le calme revient, le paysage s’élargit.
— Et puis les filles, cette balade dans la rivière? nous lance la goutte en chef.
Reprenant mes esprits :
— C’était amusant!
— Attendez de vous retrouver dans les chutes, les gouffres terrifiants.
Après avoir traversé le lac en Croix, nous empruntons des chemins tortueux sans y rencontrer la moindre ombre de ce Lucifer.
— Ah! ces adultes. Ils n’ont pas le tour d’apprécier la vie et de s’amuser.
J’ai fait des rencontres merveilleuses chez les Montcourt, Tador, Rossi, Grenous, Rodrigue. Il y a eu bien sûr des moments intenses à la Chute du Diable. Je me suis dit : « C’est sûrement là que je vais croiser le diable en personne. » J’ai fermé les yeux. Je revivais ma descente du nuage, mais multipliée par cent, par mille, tellement le bruit, les fracas sur les roches étaient brutaux. L’adrénaline au maximum, nous avons crié à pleins poumons notre surprise et notre allégresse. Une expérience formidable sans rencontrer une parcelle du feu de l’enfer…
J’ai également côtoyé des Monroe, des Pruches près du Mont Éléphant, et dévalé d’autres cascades en compagnie des Archambault et Millette.
Là où je me suis le plus inquiétée, c’est dans le lac Tremblant. J’ai fait la rencontre de mes semblables qui avaient le teint foncé, huileux, les yeux tristes. Elles m’ont raconté que les humains leur jetaient toutes sortes de liquides qui les rendaient ainsi.
Elle avait peut-être raison la goutte en chef. Un diable dans la nature? Et si c’était l’Humain…
Michel Bouvrette
5.
Ma rivière
Il était une fois une rivière, une belle grande rivière sinueuse coulant de tout son long parcours de 82 km sur un amas de roches. Comme toute rivière, elle débute à un lac : celui-ci porte de nom de lac du Diable, situé dans le parc du Mont-Tremblant, une réserve faunique entre les Laurentides et Lanaudière. Mon père nous racontait que ce lac formait à sa débâcle un trident comme la fourche du diable.
Puis petit à petit, elle prend son lit en traversant, en alimentant d’autres lacs dont, pour n’en nommer que quelques-uns, les lacs aux Herbes, Escalier, Monroe et aux Chats. Tous les étés, nous nous entassions à douze dans la voiture pour aller pique-niquer dans le parc, au lac Monroe.
Et à son tour, elle se fait nourrir par des ruisseaux ou de petites rivières. La rivière Archambault, la Petite rivière Cachée, le ruisseau Noir et le ruisseau Clair en sont du nombre. À la rivière Archambault, il y a des glissades naturelles sur les roches lisses aboutissant dans un petit bassin.
Sur sa route, plusieurs ponts la traversent. Certains sont remarquables par leur aspect tel le vieux pont de fer ou encore le pont Prud’homme, un pont couvert peint en rouge et datant du siècle dernier. Celui-ci ayant perdu son jumeau par la crue des eaux, se tient debout encore fier d’être le vestige d’une autre époque. Le pont jumeau couvert enjambait la rivière à la hauteur du spa Scandinave car c’était la première route pour se rendre au vieux village de Mont-Tremblant. Du temps de mon grand-père, cette route portait le nom de RR 1. Par la suite elle fut rebaptisée rue Champagne. Après qu’il fut emporté, la municipalité décida de bâtir une autre route par le lac Ouimet qui est la rue Labelle.
Ah! eau, source de vie!
Tous les ans, une famille de canards sauvages réside sur la berge près de chez moi, alors nous pouvons apercevoir une mère avec ses trois, quatre et quelquefois cinq bébés remonter la rivière pour s’alimenter puis se laisser descendre en savourant la quiétude des lieux.
Puis arrive la période estivale. Les vacanciers la descendent en ramant, les enfants y pataugent en riant, les pêcheurs se régalent allègrement.
Le brochet, le doré ou la truite; les amateurs sont bien servis.
Ah! eau, source d’ennuis…
D’autre part, ses inondations printanières annuellement répétées; ses riverains en perdent une bonne partie de leurs biens.
Ah! cette rivière que j’aime tant.
La rivière qui représente la mer, celle-ci est plutôt calme par ses méandres nombreux, par son débit plutôt stable puisqu’elle traverse la vallée où l’on retrouve des champs et des animaux.
Ma mère en a fait son amie, elle s’en servait pour laver ses vêtements puisqu’elle n’avait pas d’électricité à la maison. Mon père, pour sa part, avec son père, en profitait une fois l’hiver venu pour faire des blocs de glace qu’ils conservaient dans l’étable sous la paille pour les revendre aux villageois afin d’agrémenter leur glacière. Le cheval était leur ami pour les sortir. Mon grand-père s’en servait aussi pour traverser à gué afin de récolter le foin de ses champs de la rive opposée qui est aujourd’hui une partie du golf la Bête.
Cette rivière sillonne entre les golfs, le spa Scandinave et les champs. Au spa, ils s’en servent pour les bains glaciaux, hiver comme été.
Puis elle traverse les champs pour aboutit dans la rivière Rouge, une plus grande qu’elle. Et la Rouge ira rejoindre le fleuve Saint-Laurent, et le fleuve se déversera dans l’océan. Avez-vous découvert de quelle rivière je vous parlais?
Bien entendu c’est la Diable qu’ici j’évoquais. Une goutte d’eau dans l’océan.
Au revoir, ma rivière que j’aime tant. Je remonte vers tes origines puisque tu couleras toujours dans mes veines.
Danielle Champagne
6.
La Diable
Depuis des millénaires elle coule
Parfois douce, parfois agitée.
Elle roule et s’enroule
Pour nous émerveiller.
Elle a connu les Premières Nations
Occupant son vaste territoire
Vivant de chasse et de pêche
Suivant la saison et leurs besoins
Respectant la Terre-Mère.
Elle connut ensuit les Blancs
Les nouveaux arrivants
Ils bûchaient les arbres
Près de ses rives
Puis c’était la drave
Acheminant ce bois
Vers de plus grands cours d’eau.
Pour nous, c’était l’amie
Aux multiples visages,
Aux multiples usages.
Nous avions une « terre à bois »
Tout au long de son cours.
Enfants, nous nous y baignions
Sans crainte : elle était notre amie!
Plus loin elle devenait rapides, chutes,
Et nous la respections.
« Elle avait ses petits caprices »
Disaient nos pères.
Nous allions donc plus bas
Avec le vieux canot
La retrouver.
J’ai, mêlée au sang de mes veines,
Un peu de son eau pure et fraîche
Qui coule et vivifie nos Laurentides.
Elle est vivante
Elle est fringante
La Diable!
Colette David
Finaliste
7.
Ma quête identitaire
Tout commence avec un nom
Tu n’as pas pu le choisir toi-même
Il est supposé te représenter
Il te permet d’entrer en contact avec les autres
Je sais que c’est seulement un nom.
Tu l’as pour la vie, un nom
Je ne me plains pas, mais bon.
Ce n’est pas flatteur être associé à un démon
Je me pose seulement des questions.
Pourquoi me donner ce nom
Parce que je suis trop en mouvement
Mes rapides et mes remous leur font peur
Ce n’est pas de ma faute, je suis née ainsi,
Ils n’ont qu’à m’accepter comme je suis
Je me pose seulement des questions.
Pourquoi me donner ce nom
Je ne ressemble point à l’enfer
D’accord, j’avoue que j’ai quelques roches qui sortent par-ci par-là
Mon eau ne coule pas rouge
Je vous le dis, venez et vous verrez
Je me pose seulement des questions
Je veux trouver qui je suis
Je veux porter ce nom avec fierté
Je m’appelle « Rivière du diable »
Une rivière où les truites s’amusent
Une rivière entourée par de belles collines
Une rivière qui favorise l’agriculture
Une rivière où petits et grands se retrouvent
Ruth Desmornes
8.
Est-ce rivière?
Vous me voyez rivière
alors que je suis colère
et danse déployée
et couleurs irisées
qui tombent en cascades
puis aspirent encore au ciel
me brisant en embruns
me frayant un passage
entre les roches polies de mes assauts
Vous me croyez rivière
alors que je suis femme
je n’ai de cesse de dériver
de m’enrouler sur l’écume de mes envolées
sur les mouvements irrépressibles
du plus profond
du plus noir et lumineux
de mes errances
Vous m’entendez rivière
alors que je suis musique
je fonce
et retombe abandonnée
j’exulte
et ne suis plus qu’un chant à la vie
je rugis puis me couche vaincue
par mon trop fort tumulte
Vous me nommez rivière
alors que je suis miroir de vos destinées
je voyage de l’ombre à la lumière
et de ma source vers l’infini
je suis de pluie et de sable
de vos pleurs et de vos rêveries
Vous m’imaginez rivière
alors que je suis l’histoire
je vous berce et vous accompagne
et ma mémoire est sans fin
tout comme la vôtre
quand je l’emporte dans mon élan
je pardonne tout et lave vos remords
et vous attire dans mon mystère
Vous me connaissez rivière
alors que je ne suis que l’éternelle légende
je vous captive et vous ramène là
où vous n’étiez que bercement
je suis votre chemin
d’aussi loin qu’il vienne
et jusqu’où il ira de lui-même
car je n’ai que questions
et nulle réponse
ni rien à vous apprendre
que vous ne sachiez déjà
vous m’appelez rivière
alors que je suis votre itinéraire
je vous intrigue et vous reflète
entraînant vos prières
et vos espoirs secrets
jamais je ne déçois
jamais je n’ai trahi
car je n’ai nulle promesse
ne sachant le but de ma course
que par les images dans vos yeux
depuis le commencement
je suis l’eau
libre et furieuse
à qui rien ne résiste
et mon désir m’entraîne sans fin
vers d’autres histoires
d’autres chansons
d’autres destins
Anna Louise Fontaine/Hors-concours
9.
Attention…
Attention aux déchets qui polluent nos cours d’eau
Aucun abus des bourreaux
Nos rivières doivent être saines
C’est un travail à la chaîne
Peu importe, c’est quoi, les rivières ne sont pas une décharge
C’est une source de recharge
Si on veut que nos rivières soient vivables
Les personnes doivent être favorables
On doit empêcher les gens de les empoisonner
Une rivière doit être un endroit où on peut s’y baigner
Une rivière étant un cours d’eau qui suit sa destination
Comme les oiseaux, la rivière est en pleine migration
Cette belle rivière dans les régions des Laurentides et de Lanaudière
Qui nous amène à des endroits forts en lumière
Sans la pollution, l’eau est encore meilleure
Ainsi plusieurs activités peuvent se faire, dans cette rivière d’ancien draveur
Marie-Pradelle Gareau-Valiquette
10.
La rivière du Diable m’inspire
Comme il fait bon de se laisser flotter au gré de ce gentil cours d’eau qui, étrangement, a été nommé la Diable!
Loin d’être démoniaque, je le trouve au contraire fort accueillant et paisible. Mais ne vous y trompez point; il a son petit caractère et aime s’amuser à nous surprendre au détour de ses nombreux méandres. Que ce soit par l’accélération du courant qui fait naître des rapides bouillonnants entre les roches et les pierres apportées par le cycle des gels et dégels, quelquefois, au contraire, par l’arrêt presque complet du flot des eaux dû à de gros troncs d’arbres barrant la route.
Différente de sa grande sœur la Rouge, il y a peu de plages sablonneuses où s’arrêter pour prendre une pause, et ses berges sont plutôt couvertes de galets et de pierres transportés depuis des millénaires depuis sa source tout là-haut dans le parc du Mont-Tremblant. Par contre, malgré la civilisation qui a pris possession de la presque totalité du territoire des Laurentides, plusieurs sections de ce cours d’eau nous permettent encore de nous croire très loin de tout être humain. De grands arbres longent les rives et quelquefois se rejoignent en leurs cimes pour créer un toit de verdure créant une ambiance feutrée, coupée du monde trop bruyant et pressé qui nous entoure.
Je continue de me laisser porter, je n’ai aucun contrôle sur ma vitesse, mon parcours et ultimement ma destination. Je suis à la merci de cette Diable qui me fait découvrir un monde nouveau et mystérieux. Sur la grève, un mouvement attire mon attention, et dans le jeu de lumière créé par les rayons de soleil se faufilant entre les branches d’arbres, je découvre une petite famille de visons qui s’amusent à ce qui semble un jeu de cache-cache entre les roches et les arbustes. Ils semblent insouciants et indifférents face aux pièges des prédateurs qui pourraient leur vouloir du mal. Mais je sais qu’ils sont malins, et ce, dans les deux sens du terme; ils savent se défendre!
Tout au long de mon périple, mes sens s’aiguisent et je distingue de plus en plus les habitants de ce monde aquatique dans lequel je défile. Par exemple, cette magnifique tortue. Oh! il y en a deux, non trois, juchées sur une branche flottante, et qui se chauffent la carapace en se croyant invisibles grâce à leurs couleurs si semblables à celles de leur perchoir. Soudain, un drôle de sifflement me fait regarder par en haut juste à temps pour apercevoir un grand héron battant l’air de ses longues ailes pour aller se poser plus loin à l’abri des regards indiscrets.
Vraiment ce monde est fascinant et ce n’est pas en restant accroché à mon grand érable que j’aurais pu découvrir autant de nouveautés. Pour la majorité de la flore nord-américaine, l’automne est annonciateur d’une période de repos, d’hibernation, de mort même, mais c’est bien grâce à cette saison que j’ai pu me détacher, et qui a permis au vent de me transporter sur cette magnifique rivière pour qu’elle me dévoile ses joyaux.
Andrée Girard
Finaliste
11.
Le diable dans la rivière
Les rivières n’en démordent pas
Elles débitent les larmes de leur colère
Sortent de leur lit défait du printemps vigoureux
Toutes celles qui ont vendu leur âme au diable
Au printemps bien nommé qui les aime
Pour lui emprunter cette belle jeunesse
Et s’enrichir de ces illusions promises
Un environnement tonique de rêves
Jouissifs au péril des malheureuses
La tortueuse rivière du Diable
Ce Styx menant à la rivière Rouge
Rejette sa géhenne en feu dans l’Outaouais
Et attise à ses dérives les rivières du nord au sud
Les rivières dans la boue de ses pieds de bouc
La Diable tient la promesse de son cercle
Où l’âme des rivières ne décolère pas
Quand le printemps tend ses appâts
Que d’autres saisons ne font pas
Elles pleurent en plein désarroi
Pour avoir aimé le printemps
La rivière du Diable prend vie
Dans le lac éponyme sa source
Traverse le mont qui en tremble
De ses rivières et quatre cents lacs
Ce lieu choisi par ce diable vauvert
Que la terre Québec abrite en montagne
Sur le socle pierreux le plus vieux du monde
Ce mont qui gronde de bruits sourds oscille
L’eau en abondance déverse son fiel
C’est du Tremblant qu’origine le tartare
C’est de ce mont que le printemps s’endiable
Que s’écoulent les lamentations et l’oubli
Cette rivière du Diable qui s’en moque
Et les rivières se croire invulnérables
Mais leur talon c’est leurs berges
Quand l’air devient un volcan
Que le ciel devient tout noir
Que les terres vont s’inonder
Que les riverains désemparent
Du printemps comme du diable
Alain Gravel
12.
La rivière du Diable m’inspire
Surgissant des profondeurs de la Terre Mère
Naît un petit filet d’eau
Frayant timidement son chemin
Repoussant herbes et fougères
Inondant vallons et plaines
Zigzaguant dans les marécages.
Des ruisseaux se déversant en son sein
Augmentant sa force, le grossissant.
Se diluant hardiment dans les lacs
Mains d’hommes ou de castors le retenant
Enjambant leurs barrages, continuant sa course folle.
Bordant ses rives, des pins majestueux
Y nichant hérons, corbeaux, hiboux.
Se reflétant à sa surface les coloris automnaux.
Le chevauchant vaillamment de curieuses choses
Portant des êtres valeureux en leur bord
S’établissant sur ses berges
Jouant, chassant, pêchant
Tirant leur pitance de ses entrailles
Des habitants de la forêt également.
Soudainement des bruits sourds :
Dévalant sur ses crêtes les arbres bûchés
S’enchevêtrant, se mêlant, virevoltant à la dynamite
Dégringolant pêle-mêle la Chute du Diable
Sinuant dans les chutes croches.
Réjouissants cris et chants des bûcheurs
Dansant sur les troncs les guidant habilement
Rejoignant la rivière Rouge et des Outaouais
Atteignant les usines de papier.
Leur succédant, tentes et caravanes
Baigneurs, pêcheurs, penseurs, canoteurs.
Dans les sentiers, alpinistes, vélocistes, randonneurs, skieurs
Côtoyant Dame Nature tous y trouvant leur bonheur
Ramenant le calme sur son parcours
Et la paix dans les bois.
La rivière du Diable m’inspire, ténacité et humilité.
Claire Grenache-Boivin
Finaliste
13.
Rivière et nous
Partions à l’aventure
En famille, entre amis
Descendre avec elle
Et glisser sur ses flancs
Comme avait fait mon père
Amoureux de maman
Le lendemain d’ses noces
Installés à Tremblant.
Elle s’appelle « du Diable »
Et nous joue plein de tours
Se déguise en beauté
Fière de ses atours
Se montre souvent coquine
Se change en serpentine
On s’attend au venin
Elle nous donne un coup d’main
Pour qu’avance notr’canot
Vive la magie de l’eau!
Vive les pays d’en haut!
C’est loin d’être un décor
Elle nous prend à bras l’corps
La diablesse invitante
Nous appelle à plonger
Dans ses couches profondes
Pour nous dépayser
Et nous faire voyager
Goûter à sa nature
Pas de demi-mesure
Belle porteuse d’enfants
Et de parents contents!
Apprendre à pagayer
C’est gage de liberté
C’est aller de l’avant
C’est affronter le temps
Jouer de l’équilibre
En ruses décontractées
En force, en lâcher prise
Tout dépend des surprises.
Au fil de chaque année
La rivière a changé
Elle plisse, se régénère
Elle aime qu’on la vénère
Qu’on la prenne sous notr’aile
Vu qu’elle nous donne des ailes.
On lui doit bien cela
Chacun y gagne au change
Protégeons cet échange!
Avant de terminer
J’ai envie d’rajouter :
Rivièrons-nous, que diable!
Françoise Hénault
Finaliste
14.
La rivière, le miroir des étoiles
Tu jaillis, nouveau-né, du sein de la terre dans un braillement glougloutant et déjà, tu glisses énergiquement ton cours entre les rochers pour dévaler les pentes des montagnes jusqu’à la plaine où tu deviendras plus sage. Résonnent toujours entre les falaises qui te bordent les cris de ces animaux qui te visitent, qui dépendent de toi pour vivre comme un corps dépend de ses veines. Un raton laveur vient se débarbouiller avec des mouvements rapides sur ton bord et regarde cet ours qui apparait sur la rive opposée. Pour beaucoup, tu auras été une veine de vie, une partenaire aussi bien qu’une ennemie. Aujourd’hui, tu es un miroir des étoiles, une onde parfois caractérielle, parfois placide, qui se ride au passage d’un canoé. Tu es cette psyché dans laquelle se mirent la montagne et la forêt, qui contemple sa couleur hautaine et enflammée par un automne annonciateur d’un hiver qui te pétrifiera. Frissonnes-tu comme nous lorsque la glace te saisit? Lorsqu’elle te fige, toi qui, par définition, es insaisissable? Es-tu toujours aussi impétueuse tandis que tu te pares de tes délicats bijoux de cristal, que tu enfiles ta robe de neige avant d’entrer dans le grand bal de l’hiver? Indéniablement, tu changes de rythme. Si c’est toujours une danse, elle est moins vive, ressemblant plus à une ample valse avec la nature endormie qu’à ce tango estival auquel tu te livres, qui te fait bousculer les rochers qui barrent ton cours, les couvrir de ton eau limpide. C’est là l’expression d’un amour pour cette terre qui te porte, t’a engendrée et te guide.
Alors comment te saisit-on, toi, courant qui a façonné ce continent, chose sans cesse mouvante, insaisissable, mais néanmoins présente? Est-ce par la plume des poètes alors que tu n’es pas mots? Est-ce par la musique alors que tu n’es que bruit? Est-ce par la couleur alors que tu n’es que reflets? Il y a dans les yeux de tes draveurs la même profondeur que tes eaux, la même amplitude que ton histoire. Il y a dans les yeux de tes draveurs cet éclat de surface, voile pudique sur une sagacité qui marque ton histoire. Il y a dans les yeux de ces hommes cette marque impétueuse que tu leur as laissée, faisant d’eux tes enfants à tout jamais.
Xavier Lacouture
Finaliste
15.
La rivière acrobate
Comme une acrobate, elle s’élance dans le vide. Elle tombe, elle se fracasse, elle s’enlise dans le sable, elle tente de se retenir aux roches, mais elle est entraînée, toujours plus loin. Elle est sinueuse, elle est insidieuse, elle muselle le bruit du vent et elle est brumeuse lors des jours de pluie. Elle amuse la forêt. Elle caresse de ses frissons les rivages, chuchote des légendes aux galets, réconforte les feuilles qui tombent des arbres. Elle adopte les ruisseaux qu’elle croise, elle est celle qui veille sur les secrets des deux montagnes, elle est une confidente. Elle fait peur par son nom et elle est sauvage, mais bien des aventuriers lui ont déjà fait confiance pour se faire transporter. Ils l’ont tenue en bride par les rames de leur canot. Ils ont su dompter sa fougue. Et la rivière du Diable leur a fait traverser le paysage sur son dos.
Béatrice Lange
Finaliste
16.
L’avaleuse d’hommes
Je sais ce que c’est que de voir partir son homme et de l’attendre. Le mien venait d’un autre continent, et j’ai passé des mois à compter les jours, les semaines, les mois. « J’attendrai, j’attendrai ton retour ». Cette chanson des Pénélope de ce monde, je l’ai tant chantée, moi aussi, à m’émouvoir du ciel la nuit, en me disant qu’au moins, la lune était la même pour moi et pour lui, priant la lune de lui transmettre mon message d’amour, priant qu’en l’apercevant, il pense à moi et se souvienne.
Je sais aussi ce que c’est que d’avoir peur qu’il ne revienne, l’homme, de craindre que la Faucheuse ne l’enlève. Ne les guettait-elle pas, dans la forêt d’hiver, ceux-là partis bûcher pour enrichir davantage les déjà bien nantis, au péril de leur vie et si loin de leurs amours? Et si, par bonheur, loin de tout médecin, ils échappaient au froid, à la maladie et aux possibles blessures infligées par la hache qui rebondit ou l’arbre qui tombe, il leur fallait encore au printemps les descendre par les rivières jusqu’aux scieries, ces géants abattus.
Tels des maîtres danseurs, ils savaient si bien sauter d’un billot à l’autre, les draveurs, pour s’éloigner en toute hâte de l’embâcle dégagé. Parfois hélas, leur expérience et leur dextérité ne suffisaient pas. Il arrivait qu’ils trébuchent et que tes flots les avalent goulument. Combien ont péri au fil de tes rapides, de ton courant gonflé par la fonte d’avril? On en retrouvait certains, flottant apaisés en aval, mais il en était d’autres que tu ne redonnais jamais.
Je pense à ces femmes à qui on annonçait la nouvelle, amantes ou mères devenues pleureuses, devenues veuves. J’imagine leur colère. Moi aussi alors, j’aurais maudit tes eaux rouges, tes eaux ferreuses déchainées et je t’aurais dite du Diable. Est-ce l’écho de leurs pleurs qu’on entend au printemps mêlés à l’orage aux abords de tes rives? Est-ce le souffle des noyés, ce chant étrange qui court sous la surface lorsqu’on marche en hiver dans les parties où le courant moins fort laisse la glace prendre?
Toi, tour à tour bienfaitrice et malfaisante. On t’a nommée rivière du Diable parce qu’avaleuse d’hommes, toi qui n’étais que rivière, dans un monde où on envoie à la mort certains hommes pour en enrichir d’autres.
Nancy R Lange
Hors-concours
17.
Au nom de la Terre Mère
Je me suis armée
De ces mots
Pacifiquement, je serai sincère
Je dénonce et proteste
Des gestes immoraux
Qui affectent nos cours d’eau
Qui débalancent la plus belle des richesses
La nature est vivante
Les polluants se répandent rapidement
La prudence est de mise
Il ne faut pas qu’on banalise
Car ils détruisent l’environnement
Comme toute ressource
L’or bleu est précieux
Ouvrez les yeux
Ça nous concerne tous
Il faut être réaliste
Défendre la nature
Cesser d’être égoïste
Assurer un futur
Réveillez vos sens;
Ressentez, voyez, écoutez, sentez l’eau
Mais ne la polluez pas!
Josianne Larocque-Boucher
Finaliste
18.
Rivière du Diable
Ainsi nos ancêtres t’ont nommée.
Pour nos frères
ayant péri dans tes flots.
Pour leurs âmes,
englouties par tes remous.
Pour leurs corps,
retournés à la source.
Toi, fille de Mahabuta,
Pardonne-nous
D’avoir oublié
Que tout est dans tout,
Que ton eau
Coule dans nos veines.
Toi, Belle Rivière,
Qui sillonne la forêt laurentienne,
E Itasweak : révèle la mémoire.
Et la conscience.
Et le temps.
Et la direction.
Que tes flots tumultueux
Sans cesse nous rappellent
La Loi universelle de l’impermanence.
Que ta fluidité, pénétrante, nous enseigne
L’amour, la compassion et le respect
Afin que nous puissions prendre soin de toi
Rivière du Diable.
Ainsi, nos ancêtres t’ont nommée!
Que Manitonga Soutana
Veille sur toi!
Marc-André Latour
19.
Elle glisse entre les doigts…
Tapie dans les eaux tumultueuses de la rivière du Diable
Insaisissable, mutine, elle est inépuisable
Capricieuse ou coulante, indémodable, elle s’adapte à tous les courants
Elle se faufile en tous lieux, à la fois accueillante et fugitive
Aucun taulier, aucun geôlier ne saurait circonscrire ses mouvements
Dansante, cascadante, ruisselante, elle est l’incarnation même du mouvement perpétuel
Ses chorégraphies sont innombrables, ses représentations infinies
Déifiée dans l’Antiquité, défiée par les Vendée Globe de ce monde
Ses fluctuations d’humeur ne portent pas à se marrer
Paisible et même berçante à ses heures, elle inspire la méditation
Et dans ses déchaînements les pires, répand la dévastation
Translucide, diaphane, elle est source de vie et parfois porteuse de mort
Polyidentitaire, elle change de nom au fil de ses pérégrinations
De ruisseau, elle passe à rivière, à torrent ou à fleuve
Elle est aussi la sève nourricière à laquelle les humains s’abreuvent
N’oublions pas qu’elle fait également rouler l’économie
Qu’il s’agisse de production hydroélectrique ou de parapluies
Surnommée l’or bleu, sa valeur ne cesse d’augmenter
Vous l’aurez tous reconnue et on lui dit à l’eau!
Normand Lebeau
Finaliste
20.
Silence plus un mot.
Silence plus un mot.
À toute audience en présence de ces écriteaux.
Car, à l’évidence à fleur de peau.
La déchéance de ces eaux.
Amenèrent en ignorance leurs propres maux.
Vengeance, puissance et désobéissance de haut niveau.
Continuellement en errance de son fléau.
Clémence où ce sera votre tombeau.
Jadis, enviable et appréciable.
Séductrice de l’inoubliable.
Sans maléfice et d’eau potable.
Devenu dévastatrice et insaisissable.
Elle prit le doux nom venant du diable.
Car, fatiguée d’être impopulaire.
Vivant de peine et de misère.
Un jour elle décida, sous un accent de colère.
De se défaire et d’explorer de nouvelles terres.
Pour devenir cette jeune rivière.
Car, les hommes n’avaient rien compris.
De leur souffrance et de leur cri.
Elles qui les avaient accueillis.
Mais, ces êtres irréfléchis.
Avait un jour sans alibi.
Déversé tous leurs débris.
Dans cette jeune eau tout affaiblie.
Encore aujourd’hui c’est abruti.
N’avait rien appris de leur bouffonnerie.
Pénéloppe Masse
21.
La femme et la rivière
Je m’agenouille sur tes rives sauvages. Mes doigts effleurent ton reflet cristallin qui brille. Le soleil abreuve encore une fois ses flammes incandescentes à ta source avant de se coucher dans ton creux d’eaux. Et moi j’attends. Dénudée de moi-même, je plonge dans tes eaux. J’entends des voix qui chuchotent des histoires, qui meurent au crépuscule. J’entends des soupirs qui se heurtent contre tes roches, et des pleurs qui s’étouffent dans tes vagues, et moi, j’attends toujours.
On me dit sauvage et endiablée quand je fonce dans le cœur de la forêt. Mon corps serpente et s’enroule autour des arbres qui m’affrontent. Pour frayer mon chemin, mes vagues se battent contre les rochers qui m’empêchent de passer. Et moi, je continue mon voyage pour te retrouver toi, celle qui, dénudée de toi-même, plonge dans mes eaux. Je veux que mon corps se love autour du tien et que nos cœurs battent dans la même cadence. Je veux devenir le sang qui coule dans tes veines et le souffle qui t’anime.
Le soleil se couche encore une fois. Ses dernières flammes me réchauffent avant de s’éteindre. La nuit est noire, mais je n’ai plus peur des ombres qui surgissent de tes profondeurs. Tu me caches dans ton ventre humide et tes bras me bercent. J’écoute en silence des histoires oubliées, j’entends le nom de ceux que tu abrites tout comme moi.
Tu n’es plus une étrangère, ma fille. Tu es l’enfant que je porte. Je coule dans tes veines et tu habites mon être. Enfin, toi, la femme et moi, la rivière, nous ne sommes qu’UNE.
Ginestra Morar
22.
Une affaire de cœur
C’est au son d’une scie mécanique de l’autre côté de la rivière que j’écris ce texte.
Mais, c’est en entendant dans ma tête la magnifique chanson de Claude Gauthier, Le plus beau voyage, que je veux continuer mon récit :
J’ai refait le plus beau voyage
De mon enfance à aujourd’hui
Sans un adieu, sans un bagage
Sans un regret ou nostalgie
Lorsque le hasard de la vie et la chance d’avoir des parents remarquables m’ont amené sur le bord de la rivière du Diable, il y a 60 ans, et je dis bien 60 ans, imaginez ce que c’était.
A 3 heures de Montréal, avec le bout Sainte-Agathe-Saint-Jovite sinueux où on pouvait difficilement dépasser, c’était le prix à payer pour passer deux mois de vacances comme il faut le dire, hors du temps.
Nous devenions alors conquérants, aventuriers. Chaque baie avait un nom : baie Dubois, baie à Brochets et la Grande Falaise d’où la vue était panoramique. Des spots où les brochets nous attendaient. Des copains à profusion, parce que les mères s’occupaient de nous avec un incroyable dévouement.
En effet, je veux vous faire comprendre que cette merveilleuse rivière était habitée par des enfants heureux.
500 mots, mais ce sont des sensations et des images qui importent, parce qu’aujourd’hui, il n’y a que de magnifiques souvenirs : nager dans l’eau cristalline qui effaçait miraculeusement toutes piqûres, remonter jusqu’à l’ancien pont Ryan sans rencontrer aucun chalet ou terrains de golf, des grenouilles partout et surtout le calme et la beauté des falaises et des rivages sauvages.
Et pour citer notre poète des grands espaces, Gilles Vigneault :
Ils ont dit que c’était la Julie
Moi je dis que c’était la Manikoutai
Ils diront qu’avec l’âge on oublie
Telle était la Manikoutai
… Telle était La Diable
Pour être digne de la beauté de mes souvenirs d’enfance, j’ai laissé parler mon Cœur et ce Cœur maintenant vous dit avec réalisme et diplomatie :
À votre façon, comme des inconscients, vous avez blessé et continuez à blesser ma très grande amie la rivière du Diable. Les temps changent, je vous le concède, et même si le développement apporte des avantages, trop de citadins profitent du privilège d’avoir un bord de l’eau pour reproduire leurs obsessions de banlieusards. Les voisins gonflables ride again.
Une affaire de Cœur, et maintenant faites l’effort d’imaginer que ce court récit est semblable à l’histoire de notre amie la planète Terre. Nous sommes tous riverains du temps qui passe, et que laisserons-nous tous à nos enfants?
Qu’est-ce qu’on leur laisse – Richard Séguin – extraits:
Qu’est-ce qu’on leur laisse : un arbre, un mot, un geste, l’ivresse d’un sourire
Qu’est-ce qu’on leur laisse : l’odeur des fruits sauvages
Qu’est-ce qu’on leur laisse : les nuages qui passent
Qu’est-ce qu’on leur laisse : des arbres en prière, des oiseaux incurables
Qu’est-ce qu’on leur laisse : le courage de rêver, le courage de rêver
Le jardinier de la Diable
Michel Pageau
Et je compléterais mon texte en citant l’astronaute français Thomas Pesquet qui, à l’émission Envoyé Spécial du 8 juin 2017, dira :
La prise de conscience de la fragilité de notre planète vient de la grande différence entre comprendre un phénomène par des données scientifiques et le vivre avec ses sentiments. Car ce que l’on ressent quand on voit la terre d’en haut nous parle infiniment plus que les chiffres et nous amène la conscience des conséquences de nos gestes sur l’avenir de la Terre.
23.
Quand notre Laurentie…
Lorsque le lac Filament déverse ses eaux,
Plusieurs rivières se forment
Dans des territoires loin au nord
Et coulent en formant à leur tour
De nombreux lacs…
Comme des grains de chapelet.
Lorsque se jettent dans le lac Tremblant,
La rivière Cachée, du Diable,
Rivière Rouge ou leurs confluents
Je respire profondément
Les effluves d’eau et de pins
Dans la rosée de la brunante.
Quand notre Laurentie se glisse dans la nuit,
Sous les derniers rayons du soleil
Parti vers d’autres rivages,
La plage déserte, le dernier voilier rentré,
Dans le soir, une illusion d’optique
Montre la montagne qui tremble,
Montre aussi le lac tremblant,
Avant de devenir miroir.
Les loups hurlent au nord.
Mon chien leur répond
Qu’il se souvient avoir été des leurs.
Le harfang des neiges,
Perché sur un arbre mort,
Lance son cri, annonçant
Le début de la chasse de nuit.
Pour un instant rien ne bouge
Tout est tranquille.
J’attends le début d’un spectacle féérique.
D’abord la lune rousse, monte lentement
Puis les étoiles déchirent le tissu usé de la nuit.
Une pluie de marguerites tombe sur le lac
Comme en un pré fleuri.
Les dernières lueurs du couchant
Dansent avec les gaz de l’atmosphère.
Donnant naissance aux aurores boréales.
Alors commence le spectacle du ciel de nuit.
Assise sur la terrasse du Chalet des Chutes,
J’admire cette splendeur du ciel
Accompagnée de la musique des eaux
Qui se précipitent,
Qui de jour, qui de nuit.
Vers un nouveau lit.
Jamais la rivière ne s’arrête.
Elle coule derrière ma maison
Elle s’élance sous des ponts de fer,
Sous des ponts de bois,
Tantôt furieuse, tantôt calme,
Chantant sa chanson
À travers champs, villes et villages
Vers sa destination.
Elle va rejoindre d’autres rivières
D’autres affluents et confluents
Pour alimenter le grand fleuve
Qui portera ses eaux vers l’océan.
Quand notre Laurentie se glisse dans la nuit
Monte un bruit de prière
Que le vent reconduit.
Bonnes gens
Faites silence et dormez bien!
Amélie Phat
Finaliste
24.
Le démon de la rivière
Tu es le seul démon que j’ai trouvé à la rivière du Diable.
Le chuchotement du cours d’eau s’harmonisait au tien.
Une rivière rouge comme la passion qui nous allumait.
Mais ce sentiment a disparu comme une goutte de pluie dans la rivière.
Tes yeux plus troubles que ses eaux.
Ses eaux plus douces que tes mots.
Une rivière rouge comme la colère qui m’habite.
Proche du Mont-Tremblant, mes pas me guident vers la rive.
Elle semble si désolée sans ta présence, plus bruyante.
Ses remous assourdissants envahissent ma tête.
Pendant un instant, seule la rivière existe, mes pensées emportées par son fort courant.
Le rouge n’est plus.
Dans cette cohue des éléments, j’y retrouve le calme.
Mon esprit flotte dans le sillon de la rivière du Diable.
Le courant emporte les eaux, mais nos mémoires y resteront.
Une rivière bleue comme le ciel.
Le chuchotement du cours d’eau est si beau en lui-même.
Peut-être le diable n’est-il pas dans la rivière, mais son eau ne fait que refléter celui en nous.
Maelly Rompré-Pepin
25.
La rivière du diable
Sa posture, son chant, son cri, sa relation intime avec nous,
jadis nourrissaient notre vie. Elle, si fière, majestueuse,
harmonieuse, gracieusement, incitait à la paix. Elle circulait tranquillement
avec ses remous, dansant de Mont-Laurier jusqu’au Mont-Tremblant.
Puis, nous sommes arrivés, sans rien demander, avec nos gros billots de bois,
en l’épuisant, elle, à les tolérer, jusqu’au jour où c’en était trop, d’être abusée dans sa bonté.
Je l’ai entendue, sangloter et dire : « Arrêtez vos folies, vous allez tout droit
à la catastrophe, vous êtes primitifs dans votre évolution, redevenez vos bons samaritains,
je suis essentielle à votre survie, laissez-moi respirer, vous me videz de mon oxygène.
Je suis comme une vieille femme fanée, une respiration perdue dans l’univers,
le visage tout descendu. On était une belle famille, heureuse, pure.
Je m’arrache les mots, à la force des eaux. Vous tuez mon chef-d’œuvre
de centaines d’années, ça me mange le cœur, de vous voir sans pudeur,
fiers saboteurs. Vous êtes comme un vent méchant qui génère la peur! Oui, la peur!
La peur en moi de ne pas survivre à toutes vos atrocités. D’où vient votre colère? Votre frustration que vous jetez
à tout vent, sans même penser à l’impact sur demain. C’est tout un karma que vous léguez à vos enfants.
Je vous ai accueillis à bras ouverts, on était comme des amoureux.
Maintenant le feu brise, vous changez mon identité, même ma nature. Je suis devenue une ennemie redoutée.
La confiance est perdue, de m’avoir empoisonnée, ça génère des maladies. Vous avez tué ma crédibilité.
Mes poumons hyperventilent, quand vous jetez vos eaux usées dans mon ventre,
pire encore, votre gazoline dans mon sang. Je ne sens plus le bienfait du soleil,
vous avez brouillé ma texture, ma santé mentale en prend un coup. Mes neurones se désagrègent.
Je me sens humiliée, vous brisez mes élans de vous aimer, en plus de saper mon énergie.
Pourtant, je suis un soutien. Vous n’avez pas encore compris le mystère de ma présence dans vos rangs!
C’est absurde de traiter les cellules de votre corps séparément de moi!
Je me sens comme Jésus-Christ, avec des centaines de croix puantes sur mon dos.
La seule différence, c’est que moi, je ne pourrai pas me réincarner, dans toute ma pureté!
Vous m’invalidez, m’infantilisez, c’est un couteau tranchant, la trace de votre passage!
C’est un drame familial! Je suis devenue un courant inanimé.
Mon odeur pue la mort! Je suis même devenue un assassin.
Les coliformes humains, dans mon ventre de biodiversité, c’est la métamorphose.
Comme l’âge ingrat, vous vous êtes prêtés à de mauvaises grâces! Je ne peux même plus ressentir,
regarder les poissons grandir, puis mourir! Ils sont morts avant de naître. Je suis comme un grand brûlé, je ne
reconnais plus ma peau. L’absence de relation respectueuse, c’est comme un cancer qui grandit.
J’ai même perdu mon nom… rivière! Ce n’est pas à la retraite que vous m’avez envoyée!
Oh non!
Avec votre soi-disant intelligence, vous avez créé un monstre
Le diable en personne! »
Marie Annie Soleil
Finaliste
26.
La rivière du Diable m’inspire… en diable!
Je n’aurais jamais cru qu’une rivière puisse agir aussi fortement sur moi.
Jusqu’au jour où…
Je vivotais dans une période de grisaille depuis quelque temps. Mon intérêt pour des activités qui me plaisaient jadis avait beaucoup diminué. Je lisais énormément, ne réalisant pas qu’il s’agissait d’une fuite, purement et simplement. Ma tenue était négligée et mon sourire rare et forcé.
Le pire, c’est que ma passion pour les promenades en forêt : exploration, prise de notes et photographie, m’avait quittée. Une réflexion s’imposait, de toute urgence.
C’est à ce moment que tante Marie m’appela, sollicitant mon aide pour l’ouverture de son chalet à Mont-Tremblant. Lasse comme j’étais, refuser fut mon premier réflexe. Curieusement, tante Marie insista, chose qu’elle ne se permettait jamais.
— C’est sans doute la dernière année que je vais au chalet, ma chérie, je suis rendue trop vieille pour ça!
Elle avait actionné le bon bouton et sa petite manipulation me fit sourire.
— Bien sûr, tante Marie, avec plaisir. Je partirai demain.
Au lever, le soleil brillait et le vent sommeillait encore. Je pris la route, un léger sourire aux lèvres. Il n’y a rien de mieux, pour combattre la grisaille de sa vie, qu’aller vers les autres, leur apporter notre aide.
Ma Micra rouge avalait les kilomètres pendant que, mentalement, je listais les tâches à faire.
Je pris soudainement conscience que je ratais quelque chose d’important. En effet, les paysages étaient de toute beauté, des montagnes, des lacs, les rayons du soleil se déposant sur la cime des arbres majestueux. Je me servis une leçon de vie que je connaissais pourtant bien : vis donc le moment présent! Il ne reviendra plus.
Un arrêt chez le Marchand Général s’imposait pour l’achat de produits de nettoyage et quelques denrées alimentaires.
Sitôt arrivée au chalet, les bagages et le matériel rangés, le besoin d’explorer les alentours se fit sentir.
Que ça sentait bon! Deux oiseaux s’entretenaient à tue-tête sur un ton joyeux. Je prenais de grandes inspirations m’emplissant de cet air pur et expirant mon air pollué par la grande ville. Je soupirais d’aise. D’aussi loin que je me souvienne, je me sentais chez moi en pleine nature.
Je descendis le sentier qui serpentait jusqu’à la rivière dont le bruit maintenant me parvenait.
Arrivée près de la rivière du Diable, j’arrêtai tout mouvement. Je pris conscience de ma respiration, profonde et naturelle, et pensai : je suis. Ici et maintenant, je suis.
Plus les minutes passaient, plus je me sentais enracinée, puissante et faisant partie d’un tout. Le lien était la rivière du Diable.
Elle me réapprenait une leçon, pourtant déjà sue. Quand tout va de travers, que tu te sens déraciné, que tu vacilles perdant espoir : va dans la nature, connecte-toi à Elle. Respire. Remplis ton être de toute sa magnificence.
C’est ce que je fis tout en comblant ma chère tante. Son chalet brillait de propreté, un énorme bouquet de fleurs trônait sur la table de cuisine.
Je rayonnais!
Anne-Céline Tremblay
27.
Ça parle au diable
Je n’y connaissais rien en fait d’expédition en canot, mais par besoin de laver un esprit surchargé de pensées « professionnelles », j’acceptai l’offre de pagayer dans la belle sauvagerie des Pays d’en Haut. Sur invitation de mon frère Louis qui me convainquit : un parcours facile, un groupe réduit (pour la fille craintive de se retrouver avec une gang), un trio tranquille dans deux canots, et la beauté des lieux pressentis. C’était la deuxième fois qu’il mijotait ce genre de plan pour sa sœur; la première remontait à l’enfance et revêtait à notre insu un caractère prémonitoire…
Âgé d’une dizaine d’années, Louis bénéficiait déjà d’un œil averti : au cours de ses observations de la rivière des Prairies qui coulait derrière chez nous, il avait remarqué que si le courant descendait rapidement vers le fleuve en aval, un contre-courant s’activait à la hauteur de la maison familiale. S’il lançait un objet à l’eau, plutôt que de s’éloigner définitivement, celui-ci revenait vers soi comme un chien rapporte un bout de bois. Désireux de tester l’affaire, il me proposa un petit tour sur la rivière. Croyant qu’il m’accompagnerait, j’embarquai dans la chaloupe qu’il détacha, puis envoya au large avec une fillette de cinq ans toute seule à bord et sans rames. Mais il avait vu juste : la chaloupe s’éloignait d’abord avec le courant, et circulait pourtant bientôt en sens inverse. Il suffit alors à Louis de me cueillir à une quinzaine de pieds du quai. Contre toute attente, j’accorderais désormais ma confiance à mon frère pour les aventures en rivière…
Quelques dizaines d’années plus tard, Louis caresse donc un autre plan. M’expédier sur la Diable, me laisser aller sur une autre rivière, en canot pour l’occasion, et après m’avoir appris quelques manœuvres de base. Cette fois, je ne serai pas seule dans l’embarcation : son amie Carole ira devant et je pagayerai derrière, tout en suivant les indications de la meneuse.
Aujourd’hui, Louis insiste doucement pour que j’écrive sur cette opération réussie, randonnée effectuée au mois d’août 2004 et au sujet de laquelle, après vérification, j’avais pris très peu de notes. Rien à déclarer quand la beauté s’étend sur soi comme une ombre bienfaisante sous un soleil de plomb. Tout de même, pour mémoire, j’avais inscrit des noms et des indications atmosphériques : Fin de semaine dans le parc du mont Tremblant. À partir du lac aux Herbes, descendre la rivière, traverser le lac Escalier jusqu’aux Chutes du Diable. Lac dans la brume et dentelé de montagnes. Samedi de soleil, dimanche de pluie chaude. Toute cette énergie − terre, air, rapides et lacs, animaux − entrée en moi. Je recommencerais demain. Dans le carnet où, à mon retour, j’avais griffonné ces mots, j’insérai ensuite un feuillet de calepin apporté avec moi pour le week-end mais négligé, où j’avais paresseusement noté : 7 a.m. Camping de la Brave. Hier, trois heures de canot depuis notre point de départ. Air délicieux, longues herbes aquatiques. Vu (à peine…) des huards, un héron. Rideaux d’épinettes vraiment reposants. Une baignade. Un souper de pâtes et un bébé suisse curieux sur mon pied. Ce matin, la flotte. Carole et Louis installent la bâche pour un déjeuner au sec.
Il n’y a pas lieu ici pour moi de relater l’aventure − une autre fois peut-être et à propos d’une autre expédition, qui sait? J’ai cependant le goût de dire que la pluie incessante du dimanche ne m’avait pas empêché de jouir de la douceur de l’air, de l’apaisement suscité par la rivière, de la beauté des grands conifères. Bien sûr, pour être une béotienne en matière de canot-camping, les tâches qui me semblaient les plus ingrates, m’avaient été épargnées, notamment les préparatifs, l’installation du gîte pour la nuit (monter une tente sous la pluie…), le chargement efficace du canot, etc. Malgré les soins à l’égard de la débutante, il me faudrait quand même me colletailler à des rapides malaisés à franchir à cause du bas niveau d’eau, et, à plusieurs reprises, sauter à l’eau pour dégager le canot coincé entre les pierres.
J’aimerais donner à lire la pensée qui m’est venue hier, concernant mon initiation sur la Diable, après une maturation d’exactement sept mois, au matin d’un jour pluvieux de mars 2005 : pagayer est un geste à la hauteur du cœur. Au propre comme au figuré. Plus précisément, ce geste me paraît, en réalité, ouvrir davantage le cœur. Et le cœur absorbe le plan d’eau, prend en lui la rivière alentour, le rivage et les arbres qui le bordent (et le bordent non pour endormir, comme une mère au pied du lit, mais pour tenir éveillée la terre et assurer la protection des berges).
Une grande romancière sud-américaine, Clarice Lispector, recommande de suivre le chemin des étoiles parce qu’on ne s’y égare jamais sauf peut-être ceux qui se croient trop intelligents… J’ajouterais que suivre celui de la rivière conduit toujours, malgré les embûches, au bon endroit : en soi, là où la nature est intacte, vierge. En soi où la nature évoque l’immatériel qui nous dépasse et n’a pas de nom : le meilleur de nous, le noyau parfait que nous nous dissimulons le plus souvent à nos propres yeux et de toutes les façons possibles. Être porté par l’eau nous rend à nous-mêmes, tout comme l’obéissance aux étoiles…
En réalité, la Diable dissimulait bien mal une divine rivière.
Claire Varin
Texte hors-concours
(Texte paru sous un autre titre dans Portage, journal du club de canot-camping Les Portageurs, 42e année, No 216, juillet 2005)
Merci à tous les participants!