Sainte nuit (Conte de Noël pour adultes, 2016), par Micheline Duff

SAINTE NUIT

Conte de Noël pour les Grands, 2016

Une histoire vraie

Au Salon du livre de Montréal de l’an dernier, un homme et une femme inconnus se présentèrent devant ma table pour m’annoncer que, responsables de la pastorale dans une paroisse de Lanaudière, ils avaient décidé de mettre en scène l’un de mes contes, Sainte nuit, prélevé dans mon recueil de 25 contes de Noël pour les Grands et Petits, publié il y a quelques années. L’école entière allait y participer.

― Après tout, me dit l’homme, le personnage du petit Niko, même s’il est Africain, peut très bien représenter tous les réfugiés qui arriveront au Canada très bientôt. Le spectacle aura lieu le 24 décembre à 4 heures. Nous espérons vous y rencontrer…

Bien sûr, fort intriguée, je m’y suis rendue, tel que promis. À ma grande surprise, l’église était bondée. Comme on m’avait ménagé une place dans le premier banc, je pus apprécier la représentation à sa juste valeur. Le plancher étant sec, on invita alors les plus jeunes enfants de l’assistance à venir s’asseoir par terre, entre les premiers bancs et la balustrade les séparant du chœur.

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Déjà, l’introduction m’impressionna quand un jeune garçon pénétra sur la scène, vêtu d’une chasuble blanche et portant à bout de bras un énorme ballon sur lequel on avait dessiné la terre, suivi d’une dizaine de jeunes. Au son des violons joués par des jeunes filles de l’école, tous se mirent à chanter et à tournoyer autour de lui en se tenant par la main, les yeux rivés sur le ballon-terre :

Que nous soyons Israéliens ou Palestiniens,

Que nous soyons Syriens ou Canadiens,

Pourquoi ne pas nous donner la main?

Puis survint le premier tableau de mon conte. Niko, joué par un petit noir, était couché par terre chez lui, en Afrique, au pied d’une table recouverte d’une nappe sur laquelle on avait imprimé des antilopes. Sa mère insistait pour qu’il se lève, car elle ne voulait pas rater l’avion qui les mènerait enfin, en ce milieu de décembre, vers une vie meilleure au Canada, après avoir attendu leur visa pendant des années. Le garçon protesta bien haut, mais il n’eut pas le choix de se soumettre en maugréant.

Au deuxième tableau à l’aéroport de Montréal, Niko, ne connaissant pas l’hiver, retira avec rage le foulard et la tuque de laine que lui tendaient des agents de l’Immigration. Cependant, une fois dehors, face au froid agressif et cruel qui lui mordait les joues, il les réclama avec véhémence. Il enfonça alors sa tuque jusqu’aux oreilles et se cacha le nez derrière l’écharpe.

Niko détesta immédiatement l’hiver, n’aima ni l’école où tous les enfants étaient blancs et parlaient le français avec un accent incompréhensible. Parmi eux, il n’était question que de Noël, un mot qu’il n’avait jamais entendu. L’un des premiers jours de vacances de la fameuse fête, il regarda tomber la première neige par la fenêtre, émerveillé. Camille, une petite voisine, l’aperçut et, de la main, lui fit signe de la rejoindre dehors. Il s’empressa alors de remettre ses vêtements chauds pour aller construire avec elle un énorme bonhomme de neige sur lequel il introduisit lui-même la carotte lui servant de nez, manquant de faire tomber le bonhomme de tissu par terre, ce qui déclencha les rires dans l’assistance. Quant à moi, assise à l’avant de l’église, je ne pus m’empêcher de ravaler mes larmes en voyant les personnages de mon conte s’articuler de façon aussi concrète et adorable.

Ce soir-là, veille de Noël, les parents de Camille invitèrent Niko et sa mère à les accompagner à la messe de minuit puis à réveillonner chez eux par la suite. Le tableau suivant représentait donc l’intérieur d’une église où une fillette de dix ans, arrondie d’un énorme oreiller, personnifiait la Sainte Vierge enceinte, accompagnée d’un Saint Joseph du même âge et de plusieurs bergers en jupes longues, portant des bâtons et des toutous de peluche. Ils traversèrent la scène et se dirigèrent vers une étable, disposée sur le côté, pendant qu’une trentaine d’enfants entonnèrent des chants de Noël, dont le cantique Sainte Nuit, accompagnés au violon. La Vierge déposa finalement une poupée dans un petit lit de bébé. Niko et sa mère regardèrent la scène avec des yeux écarquillés. Était-ce bien cela Noël : la naissance d’un enfant?

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Le charme de cette adorable crèche bien vivante et de cet extrait de messe de minuit fort réussi déclencha en moi une vive émotion. Ces metteurs en scène avaient dépassé mon imagination!

À l’avant-dernier tableau, on se retrouva au réveillon, chez les parents de Camille où trônait un magnifique arbre de Noël abritant de nombreux cadeaux. Niko reçut une boîte à musique recouverte d’un ange qui interprétait Sainte Nuit, comme dans mon récit, pendant que celle qui jouait le rôle de sa mère distribuait aux enfants assis par terre en avant de l’église, des petits bracelets de perles préparés à l’avance par des écoliers de la paroisse, à l’instar de la mère de Niko qui, dans mon histoire, en avait offert un à Camille.

Le conte se termina en affirmant que tout cela avait suffi pour que Niko commence à aimer le Québec. Dans mon recueil, l’histoire se termine en affirmant qu’il y a vécu une vie heureuse, a eu une descendance nombreuse et que, soixante-quatre ans plus tard, la boîte à musique jouant Sainte Nuit fut retrouvée, dans le recoin d’un grenier, par l’un de ses premiers petits-fils.

Apparut alors sur la scène la véritable famille du petit garçon jouant le rôle de Niko. Ils étaient plus d’une douzaine, de tous les âges et de toutes les grandeurs : son grand-père, ses parents, des oncles et des tantes, des frères et des sœurs, tous des Noirs revêtus d’un costume traditionnel africain. Je ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots quand ils se mirent à exécuter des pas de danse africaine sur une musique de leur pays ancestral. Cela ne faisait nullement partie de mon conte, mais la conclusion s’y trouvait clairement : oui, mon pays est et doit continuer d’être un pays d’accueil…

Ce spectacle constitua mon plus beau cadeau de Noël. Je venais de vivre avec tout ce monde l’une des heures le plus émouvantes de mon existence. C’est donc une auteure aux yeux rougis que la foule a applaudi.

Je ne remercierai jamais assez les organisateurs de cette merveilleuse production dont ont profité, l’an dernier, des centaines d’adultes et d’enfants. Hélas! ce genre d’événements fait rarement la une des médias. Voilà pourquoi, en cette fin d’année, j’ai eu envie de vous offrir, en guise de cadeau de Noël, ce conte racontant un autre conte.

Joyeux Noël à tous! Et que l’année 2017 ne vous apporte que de belles surprises.

img3Micheline Duff

www.michelineduff.com


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